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toujours au point de vue de l’épicurien. Ce qui lui importe, à lui, ce n’est pas « la fin des souffrances de l’Un-Tout », la « destruction de la volonté universelle », etc. Il est aussi étranger à la métaphysique qu’à la charité. Ce sont ses souffrances en tant quatre individuel et conscient qui lui pèsent ; le jour où il en a assez, il y met un terme par un coup de désespoir. Niera-t-on que son individu ait cessé d’exister et de souffrir ? Ceux qui croient à la vie future ou à la métempsycose le peuvent en effet ; mais M. de Hartmann s’est coupé celte ligne de retraite : il ne croit pas plus à l’immortalité qu’à la palingénésie. Il ne lui reste plus qu’à s’avouer vaincu. Quant à faire observer que l’égoïsme continue à vivre malgré la conscience de sa misère, c’est signaler un fait curieux pour le psychologue, mais indifférent à la morale. Y a-t-il rien de surprenant à ce que les hommes soient inconséquents ? et, quelque principe de morale qu’on adopte, s’imagine-t-on que tous les hommes sans exception vont s’y conformer ?


Passons à la morale de Schopenhauer. Les critiques français qui se sont occupés de cette morale n’ont pas assez remarqué la contradiction flagrante qu’y présentent la partie immanente et la partie transcendante. M. Ribot, dans son ouvrage, a négligé de signaler cette antinomie, qui ne suffit pas, à la vérité, à condamner le système entier, mais qui constitue une forte présomption contre lui. Sur ce sujet, la pénétration et la netteté de M. de Hartmann ne laissent rien à désirer. Nous le prendrons pour guide, en complétant ses indications par quelques emprunts faits à Schopenhauer lui-même.

Dans son Essai sur le fondement de la morale, Schopenhauer résume en cinq aphorismes les principes de sa morale immanente, c’est-à-dire indépendante de toute considération métaphysique :

1° Aucun acte ne peut se produire sans raison suffisante.

2° Ce qui émeut la volonté ne peut être que le bien (Wohl) et le mal (Wehe).

3° Toute action qui tend au bien ou au mal de l’agent est égoïste.

4° Nulle action égoïste ne peut avoir de valeur morale.

5° Il n’y a d’action morale que celle qui se propose le bien d’un autre, sans aucun mélange d’intérêt personnel.

Nous ne chercherons pas à voir comment Schopenhauer démontre toutes ces propositions ; aussi bien, ce serait peine perdue. On ne saurait rien imaginer de plus superficiel et en même temps de plus arrogant que le petit écrit d’où elles sont extraites. L’auteur fait sans cesse appel au « sentiment naturel », qui n’a été vicié chez les peuples de l’Europe que par le fœtor judaicus, etc. Il range les