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n’auraient jamais produit de tels résultats ; mais les esprits allemands, concentrés exclusivement en eux-mêmes, étrangers aux causes politiques, élevés par de grands poètes à des régions d’où l’œil perdait de vue la réalité, offraient un terrain particulièrement propice pour la semence de ses théories philosophiques.

Lorsque Reinhold, qui le premier prépara les esprits à concevoir la nouvelle philosophie allemande, fut appelé à Kiel et remplacé par Fichte malgré l’opposition du parti conservateur et grâce au prince Charles-Auguste et à Gœthe, le centre du m.ouvement philosophique se transporta de Konigsberg à lena. Le triomphe de Fichte fut immense lorsqu’il ouvrit pour la première fois en 1794 ses cours de la « Wissenschaftslehre ». On commença à croire en Fichte, de même qu’on avait cru jadis en Reinhold. — Les femmes, elles-mêmes, s’éprirent des idées du « moi » et du « non-moi », et non-seulement la philosophie de Fichte enflamma les cerveaux de ses disciples, mais elle étendit son influence jusqu’au bord du Neckar, où Schelling commençait alors sa carrière philosophique.

Néanmoins, ce mouvement intellectuel, qui faisait concevoir de si grandes espérances à ceux qui y prirent part, présentait sous un autre point de vue un péril imminent pour le véritable progrès de la science et de la spéculation. Une sorte de délire philosophique s’empara des esprits, et le délire n’est jamais un indice de santé. Le romantisme, parfaitement légitime dans les régions du sentiment et de la poésie, envahit à tort celles de la pensée, et la spéculation, sur les ailes d’une imagination fiévreuse, s’élança d’un vol d’Icare à des hauteurs où le vertige la saisit. D’autre part aussi, le principe de destruction des formes surannées et limitatives, excusable sous certains rapports dans la sphère sociale, mais élevé au rang d’une loi première de l’être, produisit des résultats pernicieux. Bientôt toute loi stable en général disparut, et même celle de la pensée perdit sa force et sa valeur absolues.

Ce délire philosophique si contagieux, un seul parmi les disciples de Fichte eut la force de n’y pas succomber. C’était un jeune homme qui se distinguait de tous ses collègues par une disposition d’esprit à la fois calme et pleine d’enthousiasme pour la science. À peine âgé de 18 ans, Herbart avait terminé ses études au gymnase d’Oldenburg, sa ville natale, et était venu à Iéna pour suivre les cours de droit, conformément au désir de son père, juriste renommé, mais à vrai dire pour s’y consacrer à la philosophie, selon le désir intime de son propre cœur. Recommandé à Fichte par sa mère, femme d’une intelligence rare, il fut introduit par lui dans le cercle « des hommes libres ». Ainsi s’appelait l’association de la jeunesse d’élite