HERBART
L’Allemagne présente vers la fin du xviiie siècle et au commencement du xix- siècle un spectacle des plus surprenants. Habitués tout récemment encore à voir l’Europe s’incliner docilement devant la volonté indomptable « du chancelier de fer », nous pouvons à peine nous figurer qu’il fût un temps où l’empire allemand « n’était pas de ce monde ». Sous le point de vue politique, l’Allemagne n’était plus en effet qu’une parodie de l’État, un édifice délabré et pourri, que la main vigoureuse de Napoléon Ier renversa d’un seul coup. Il ne restait plus de vestige de l’ancienne union nationale, et le mot même « Deutschland » ne reparaissait dans le langage que pour devenir une pomme de discorde entre le dictionnaire et la géographie. Le grand passé politique de l’Allemagne était presque oublié, et le « Saint-Empire romain germanique », jadis si imposant, n’était plus qu’un objet de plaisanteries et de sarcasmes. L’avenir aussi paraissait incertain et sombre ; l’inquiétude s’était emparé des esprits, et le poète chantait avec une ironie amère : « Wo ist des Deustchen Vaterland ? »
Cependant une vie nouvelle germait déjà dans les entrailles de cet organisme dissous. Il s’y opérait un grand mouvement intellectuel qui, tout en n’étant pas de nature à attirer l’attention des puissants,