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les pratiques d’une dévotion excessive, dont quelques-uns de ses camarades ne s’accommodaient si aisément que dans des vues très-vulgaires et intéressées. » Ce qui le prouve, c’est le jugement sévère qu’il portait plus tard sur les pratiques extérieures de la dévotion. Pour en parler avec cette vivacité, il faut en avoir souffert personnellement.

Nous pouvons conclure de là que Kant ne dut pas se porter d’un goût bien vif aux études théologiques, vers lesquelles le poussaient les vœux de sa famille et ceux de Schultz. Ce dernier occupait à l’Université la première place, comme partout ailleurs, par le zèle, le mérite et l’influence. Lorsque Kant commença ses études à l’Université en 1740, Schultz avait réussi, sinon à écarter, du moins à neutraliser presque toutes les influences hostiles à ses projets. Ses amis ou ses anciens élèves occupaient à ses côtés les principales chaires ; un esprit nouveau régnait dans l’enseignement.

Depuis le commencement du siècle, la philosophie wolfienne avait fait sans doute d’importantes conquêtes parmi les professeurs de Kœnigsberg. Elle avait été d’abord en lutte, plus ou moins ouverte, avec les piétistes. Lorsque l’influence de ces derniers fit proscrire de Halle en 1723 la doctrine et la personne de Wolf, la persécution menaça les wolfiens, qui enseignaient à l’Université. Grâce à la prudence de la plupart d’entre eux, l’orage passa sur leur tête sans les atteindre ; mais leur action était bien languissante, lorsque l’arrivée de Schultz vint tout changer, et réconcilier piétistes et wolfiens.

Schultz avait été, à Halle, le disciple aussi assidu de Wolf que de Spener. Vers 1715, les questions théologiques tenaient peu de place dans l’enseignement de Wolf ; et les oppositions de sa doctrine et de la théologie ne s’étaient pas encore accusées. Il n’avait pas émis sur l’infinité du monde, sur l’éternité des peines, sur le péché originel, les propositions qui devaient scandaliser plus tard et liguer contre lai les théologiens. Schultz emporta de ce commerce avec le continuateur de Leibniz la ferme conviction que la nouvelle philosophie peut être le plus solide auxiliaire de la foi piétiste. Au dire de Heppel, Wolf déclarait que « Schultz, le professeur de Kœnigsberg, était l’homme qui l’avait le mieux compris. » Mais Wolf, lorsqu’il tenait ce langage, avait été rendu plus prudent que jamais par la persécution, et cherchait sans doute à couvrir sa doctrine et sa personne derrière la bonne renommée de son disciple. Quoi qu’il en soit, Schultz associait dans son enseignement la philosophie wolfienne et la théologie du piétisme. Comme dit encore Heppel, « cet homme extraordinaire m’apprenait à connaître la théologie sous un aspect tout nouveau : il y faisait entrer tant de philosophie, qu’on était tenté de croire