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rudes et grossières habitudes d’un régiment de cavaliers et leur substituer insensiblement les règles d’une sage dévotion, le goût de la lecture et des chants religieux, ne devait pas tarder à opérer une révolution du même genre au sein de la communauté dont il avait la direction. Disciple de Spener, le fondateur du piétisme, il allait travailler efficacement à propager la doctrine nouvelle. Aux dogmes préférer les œuvres, au commentaire officiel des symboles l’interprétation personnelle de la Bible, ces maximes de la nouvelle Église répondaient trop bien aux aspirations du temps pour ne pas être accueillies avec faveur. Mais il fallait payer cette émancipation des intelligences par un effort plus grand des volontés, par un désintéressement plus complet des cœurs. Au lieu d’attendre passivement le perfectionnement et le salut de la seule vertu des sacrements, le piétiste devait demander la régénération spirituelle à la lutte incessante de la conscience contre l’égoïsme et les passions. De là cette austérité du caractère, cette inquiétude perpétuelle de l’âme, qui ne se sent jamais assurée d’avoir vaincu en elle le mauvais principe, tous les traits enfin qui composent la physionomie morale du piétisme. L’ascendant de Schultz était nécessaire pour faire accepter et pratiquer ces sévères enseignements, où la liberté de l’âme n’est affranchie du dogme que pour être plus sûrement assujettie au joug de la loi morale ; où l’honneur de l’effort personnel et de la victoire morale doit être acheté par la défiance de soi-même et la crainte incessante de la damnation. Schultz, au service de sa foi religieuse, multipliait les enseignements persuasifs du catéchiste et les éloquents appels du prédicateur. « Quel prédicateur ! s’écrie son élève Tresche. Quelle onction, quelle éloquence sans apprêt et pourtant capable d’ébranler des rochers ! Il agitait l’âme et vous remuait jusque dans les moelles. Le regard ne peut pas plus soutenir l’éclair que l’auditeur résister à la force de sa parole. » Le piétisme, grâce à l’activité et aux rares qualités de Schultz, et malgré les résistances ouvertes ou cachées des représentants de l’orthodoxie, devint bientôt le maître tout-puissant des esprits. Dans bien des familles, on considérait comme un péché grave d’aller à la comédie. Les préoccupations morales, le souci de la sanctification et du salut dominaient toutes les âmes. La famille de Kant, que Schultz honorait d’un intérêt tout particulier et qu’il visitait fréquemment, était entrée une des premières, et n’avait pas tardé à se montrer une des plus avancées dans les voies nouvelles. On sait quelle impression profonde Kant avait gardée de ses premières années. Il racontait à Kraus (Reicke, Kantiana) combien sa pensée s’était reportée souvent, alors que comme précepteur dans une maison étrangère il était sans doute témoin