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Méliton Martin. Le travail humain, son analyse, ses lois, son évolution (Guillaumin, Paris).

M. Méliton Martin, ingénieur espagnol, a déjà exposé ses vues sur le travail humain dans un ouvrage en quatre volumes, publié à Madrid en 1863, qui a pour titre : Ponos, et qui est une histoire allégorique du genre humain. Membre du jury de l’Exposition universelle de 1878, il a voulu faire connaître sa théorie scientifique en France, et il vient nous l’offrir dans notre langue, en un petit livre précis, net, convaincu.

Son livre s’adresse aux philosophes aussi bien qu’aux économistes. En effet, c’est toujours à la lumière de la philosophie expérimentale, en s’appuyant sur l’observation des faits, qu’il établit les éléments essentiels, les lois, l’évolution fatale et progressive du travail.

L’activité humaine est aussi intéressante à étudier dans ses principes que dans ses modes et dans ses résultats. Au point de vue subjectif, la loi du travail est toujours la même : c’est le moyen fatal pour passer d’un état de gêne à la satisfaction, qui y met fin. Gêne, besoin, effort, échange, satisfaction, tel est, pour chaque homme, pour chaque « molécule sociale », le cycle invariable de l’évolution ponologique. La composition quantitative du travail peut d’ailleurs varier suivant les lieux, le temps ou le but que les hommes se proposent ; mais jamais sa composition qualitative. Que la gêne soit dans le corps, dans l’esprit ou dans le cœur, le travail humain, qui a pour but de la faire cesser, est toujours une synthèse d’efforts musculaires, intellectuels et sentimentaux. Planter un clou, bâtir une maison, résoudre un problème, écrire un poème, composer un tableau, mouler une statue, produire une symphonie, c’est toujours combiner, en diverses propositions, ces trois genres d’efforts. « Dire que notre conduite a pour objet l’utilité, la vérité, la beauté ou la bonté, c’est simplement énoncer l’élément du travail humain qui prédomine dans nos efforts ou la satisfaction dont notre nature est plus avide. » L’unité du travail humain, corollaire de l’unité de l’être humain, cette solidarité de toutes les facultés humaines entraînant la solidarité et la légitimité de tous les travaux, ce sont là des points de vue tout à la fois spéculatifs et pratiques, dont les philosophes et les économistes ne se sont pas toujours suffisamment préoccupés.

Il faut surtout savoir gré à M. Méliton Martin d’avoir fait à nos besoins affectifs et sentimentaux, dans l’évolution du travail, une part plus large que celle qu’on ne leur fait communément. Il y a sans doute un peu d’exagération à prétendre, comme il le fait, que les économistes n’ont parlé de cet élément que pour la forme : le travail attrayant et la papillonne de Fourier, l’association égalitaire et fraternelle de Louis Blanc, la justice fédérative de Proudhon, pour ne parler que des théories les plus célèbres, témoignent que M. Méliton Martin n’a pas été le premier à réclamer pour le travail manuel ou intellectuel la coopération du sentiment. Mais personne n’a démontré avec plus de rigueur la nécessité de tenir compte de ces outils immatériels, invisibles et impalpables de la production, dont l’échange est le plus sou-