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« l’esprit d’antagonisme », c’est-à-dire la tendance à transformer les diversités en oppositions, les différences relatives en différences absolues. Mais, s’il s’est imposé la difficile tâche de résoudre toutes les antinomies en harmonies, peut-être eût-il mieux valu qu’il portât son effort sur des antinomies plus visibles et de plus grande conséquence,

La connexion nécessaire de l’intelligence et du sentiment est devenue en effet, ou peu s’en faut, un des lieux communs de la philosophie contemporaine. Les analyses de l’école associationiste en Angleterre et de l’école néo-criticiste en France ont mis cette vérité dans tout son jour. Aussi l’auteur ne peut-il que reproduire, en les résumant, les conclusions de Bain, de Bagehot et de Sully. — Il déclare donc que si l’intelligence est le principe directeur de l’esprit, l’émotion en est le principe moteur ; comme Bagehot, il fait de la croyance une émotion, l’émotion cognitive ; et, comme Bain, il voit dans l’action l’effet et le signe infaillible de la croyance. Enfin il montre que, pour influer sur notre conduite, une vérité ne doit pas être seulement connue, mais sentie, qu’elle doit devenir « émotionnelle » ; et que même les suites de pensées les plus abstraites, comme celles que nous suggère la lecture d’un chapitre de Mill, peuvent déterminer en nous une sorte de sentiment final, un mode d’émotion indéfinissable, un « mood » qui peut lui-même influer sur nos actions. Ce qui n’était d’abord qu’une connaissance se transformerait ainsi en sentiment ; comme tout son musical a son timbre, toute idée aurait ou pourrait avoir un accompagnement « émotionnel » plus ou moins affaibli ou renforcé par l’habitude et sans doute aussi par d’autres causes encore ignorées : théorie plausible et ingénieuse que notre auteur ne fait malheureusement qu’effleurer. Au lieu de l’établir par une minutieuse analyse psychologique, il se contente, pour toutes preuves, de vagues considérations littéraires.

Quelques courts chapitres, à la fin du livre, sont consacrés à la question qu’indiquait le titre, à la « balance » ou à l’équilibre du sentiment et de l’intelligence, d’abord chez les individus, puis chez les nations. Cet équilibre est rompu dans certains caractères, tels que ceux des enfants, des Espagnols, au profit de la sensibilité ; dans d’autres, par exemple, dans le caractère anglais, à son détriment. Ici encore, l’analyse psychologique est remplacée par le développement littéraire. Ce n’est pas, on le comprend, dans une douzaine de pages, et à coup de citations poétiques, que de telles questions peuvent être sérieusement traitées.

Reconnaissons toutefois que le style de ce livre est clair, élégant, parfois spirituel ou chaleureux ; que l’auteur réfute assez adroitement le préjugé vulgaire qui oppose la pratique à la théorie et les sciences proprement dites à la philosophie ; qu’enfin son histoire de la philosophie, bien que sommaire et hors de propos en la circonstance, est d’une lecture intéressante et facile. Il se peut donc que cet Essai ne soit pas sans agrément ni même sans utilité pour les commençants en