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analyses. — andré lefèvre. La Philosophie.

Bornons-nous à remarquer qu’il n’a pas aperçu l’importance et la place du problème de la connaissance. Tous ceux qui ont pris leur point d’appui dans le sujet pensant, depuis Socrate jusqu’à Kant, encourent ses critiques. Il prétend, lui, expliquer le sujet par l’objet, comme si l’objet pouvait être posé sans le concours du sujet ! M. Lefèvre, au surplus, étale comme à plaisir cette contradiction, car tantôt il semble avouer que toutes nos connaissances sont relatives à notre individu ; tantôt il proclame la certitude objective de la sensation, et il raille vivement le scepticisme sensualiste. En un mot, il y a en lui deux tendances contradictoires qui se tiennent perpétuellement en échec et dont le conflit, mieux dissimulé, mais non moins réel, chez la plupart des philosophes empiriques, apparaît ici en pleine lumière.

Il faut pourtant s’entendre. Veut-on réduire toute la science humaine à des phénomènes purement subjectifs, c’est-à-dire uniquement relatifs à notre façon de sentir ? Soit ! Cet empirisme tout subjectif est, en somme, la forme la plus logique de l’empirisme. Non cependant qu’il puisse justifier absolument sa prétention de s’en tenir aux faits constatés ; car, pour être dépourvues de toute objectivité, les lois qu’il établit n’en dépassent pas moins l’expérience. Il n’est aucune loi qui, môme pour les esprits les plus empiriquus, soit un simple résumé des faits observés. Chacune comprend en outre tous les autres faits du même genre, et, par conséquent, s’applique à un grand nombre de cas pour lesquels elle n’a pas été ou ne sera pas vérifiée. Elle demeure donc une hypothèse dont la vérification n’est jamais que partielle. Néanmoins, malgré cette objection, qui s’adresse à toute forme de la philosophie purement expérimentale, l’empirisme subjectif, en dépouillant la sensation de toute portée objective, en faisant des lois de simples habitudes mentales, se tient aussi étroitement que possible dans les limites de l’expérience^ puisqu’il réduit tout l’office de l’intelligence à constater en nous des croyances qui se forment peu à peu sous l’accumulation d’états de conscience répétés. Le malheur est que dans cette voie, où était entré D. Hume et où Stuart Mill a pénétré plus avant encore, on aboutit enfin à ce scepticisme nihiliste qu’à bon droit rejette M. Lefèvre.

Veut-on sortir du pur subjectif, sans toutefois franchir l’ordre des phénomènes ? Soutiendra-t-on que le phénomène est à la fois subjectif et objectif ? Mais d’abord, une telle affirmation est contradictoire, lorsqu’on fait dépendre la sensation des organes. Ensuite, ce qui nous est donné dans la sensation n’est autre chose qu’un fait de conscience. Si donc la sensation est objective, c’est qu’en dehors de nous les phénomènes sont des faits de conscience : auquel cas les éléments de notre pensée sont ceux mêmes des choses, et alors, loin d’expliquer l’interne par l’externe, il faudra commencer la philosophie par l’étude de la pensée et de ses lois. On en arrivera, de la sorte, à un système plus ou moins semblable au néo-criticisme, au phénoménisme idéaliste de M. Renouvier, c’est-à-dire à un point de vue dont nous reconnaissons la haute valeur, mais qui, à coup sur, est très-éloigné du matérialisme de M. Lefèvre.