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existe a trouvé des conditions favorables à son existence ; mais cette observation perd la signification qu’on lui attribue pour l’homme, par le fait même qu’elle s’applique aussi bien aux autres êtres. Le Plésiosaure aurait pu se tenir le même langage que l’homme ; car, dans la nature telle qu’elle s’étendait autour de lui, tout était disposé pour lui assurer non-seulement l’existence, mais l’empire. Un jour devait venir cependant où, le milieu ayant changé, sa sécurité serait menacée, et bientôt son existence comme espèce supprimée à jamais ; ainsi de l’homme, ainsi de la bulle d’air produite sur l’eau par la chute d’une goutte de pluie. L’ordre est la condition de toute manifestation du réel ; l’atome n’existe que grâce à une structure régulière et à un équilibre de ses éléments mécaniques. Le chaos absolu n’est pas donné ; c’est encore une conception abstraite, comme celle de la matière sans forces. Chaque individualité ou unité distincte résulte non de l’indistinct pur, mais d’une autre unité, seulement moins distincte qu’elle. Et ainsi de suite. Que l’on remonte aussi haut que l’on voudra, on trouvera toujours la matière dans un état déterminé, et se préparant par l’établissement d’un ordre quelconque à l’établissèment d’un ordre supérieur.

De là le progrès. C’est une des questions les plus émouvantes posées par la philosophie de l’évolution que celle de savoir si le progrès est infini, c’est-à-dire si, à chaque destruction d’un ensemble organisé, d’un monde par exemple, tout n’est pas à recommencer. On conçoit en effet que l’évolution puisse produire incessamment en chaque partie de l’univers des agrégats immenses et de durée considérable, sans prendre soin pour ainsi dire de préserver les résultats obtenus d’une entière destruction. L’univers serait ainsi le théâtre de créations magnifiques, mais sans but, et les mondes s’édifieraient continuellement, comme les vagues de la mer, pour s’écrouler ensuite. L’ordre serait dans le détail ; il ne serait pas dans l’ensemble. Ardigò semble plus affirmatif sur ce point que ne l’a été Spencer. Il croit que les débris d’une existence distincte une fois produite servent toujours à la formation d’une existence plus distincte. La prodigalité insouciante de la nature n’a pas d’autre cause que son infinie fécondité ; en somme, rien n’est perdu, rien n’est absolument gaspillé dans la « formation naturelle » : les grandes destructions préparent toujours un terrain favorable à des constructions plus grandes encore. « Ainsi, si ceux d’aujourd’hui louent le jour d’aujourd’hui et se plaignent du jour de demain qui va les détruire, comme si demain devait être une dégénérescence et rien de plus, la nature sera dédommagée de ce blâme immérité, parce que ceux qui verront le jour de demain loueront le jour de demain. Et elle aura à la fin