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bonheur. Si le dévouement à cette fin conserve un caractère moral, si elle s’impose à moi comme un devoir, c’est précisément à cause de la double nature que l’analyse m’a révélée en moi. La moralité n’appartient qu’au règne des phénomènes et des individus ; pour l’Être absolu, la poursuite de la fin n’est que naturelle ; pour les individus, elle devient morale. Comme je participe à la fois de l’absolu et de l’individu, en travaillant pour l’absolu je travaille pour moi-même, ce qui justifie ma conduite aux yeux de la logique, et je travaille pour un autre, ce qui la glorifie aux yeux de la morale.

Mais quel est-il enfin ce but eudémoniste de l’absolu ? serait-ce un bonheur, positif réalisé par le processus même de l’univers où il s’est incarné ? Cette opinion suppose que le bonheur positif est réalisable dans le monde : c’est la doctrine de l’optimisme. Or l’optimisme peut se présenter sous trois formes, ou, si l’on veut, traverser trois phases. L’optimisme trivial soutient qu’indépendamment de toute moralité le bilan des biens et des maux de ce monde se solde ou se soldera par un excédant positif, L’optimisme éthique prétend que, pour grand que soit l’excès de la somme des maux sur celle des biens, l’apparition de la moralité dans le monde suffit pour rétablir la balance en faveur du bonheur. Enfin L’optimisme religieux attribue à la conscience religieuse le pouvoir qu’il refuse à la morale.

Toutes ces trois thèses sont également insoutenables et ont déjà trouvé leur réfutation. L’optimisme trivial est un point de vue généralement abandonné, et l’on a vu que sa négation, c’est-à-dire le renoncement, est le postulat de la morale subjective. L’optimisme éthique prouve seulement que pour l’individu ou pour la société l’existence la plus supportable est encore celle qui est la plus conforme à la morale ; mais il n’établit nullement que l’existence, même ainsi améliorée, soit préférable à la non-existence. Que si cet optimisme, renonçant à la considération du bonheur, prétend assigner pour but au processus universel la moralité elle-même, il tourne dans un cercle ; en effet, nous avons reconnu que la moralité consiste à se vouer à la fm de ce processus ; cette fin ne saurait donc être la moralité même. Enfin, bien que l’optimisme religieux puisse procurer à ses croyants des jouissances réelles et très-intenses, il ne les achète qu’au prix d’illusions plus ou moins inconscientes ; le jour où ces illusions s’évanouissent, au sein même de la conscience religieuse la douleur remporte sur la joie, ou l’âme se consume dans une contemplation béate, voisine de l’annihilation.

Ainsi, à quelque point de vue qu’on se place, l’optimisme doit être rejeté ; par suite, la fin de l’absolu n’est pas un bonheur positif. Si donc la conscience morale, telle qu’elle s’est montrée à nous dans son