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trainte de la société (389) ; d’autres enfin ont identifié le bien et la liberté morale. Ces derniers n’ont pas été les plus heureux : la liberté morale entendue au sens de libre arbitre d’indifférence, soit immanent, soit transcendant, est un pouvoir chimérique qui, loin de servir à la morale, la détruirait de fond en comble ; entendue dans l’acception que lui donnent les philosophes depuis Leibniz, elle ne signifie pas autre chose que la prédominance d’une certaine classe de motifs sur des motifs moins élevés ; en un mot, la vraie liberté n’est que l’obéissance à la raison, et il reste toujours à savoir ce que la raison nous prescrit.

La raison n’exige ni la vérité, ni la liberté, ni l’égalité, mais une inégalité réglée de façon à produire la plus grande somme d’action avec la moindre dépense de force, en d’autres termes l’ordre. Dans l’application, le principe de l’ordre se présente sous deux formes : principe de justice, principe d’équité. La justice se distingue de la légalité : celle-ci consiste dans la conformité des actes à la loi établie, quel que soit d’ailleurs le motif qui nous détermine ; celle-là est la reconnaissance de l’ordre légal comme d’un ordre régulier, et l’effort de le maintenir pour lui-même, c’est-à-dire pour ce qu’il a de raisonnable (534). La justice ne fournit pas des solutions pour tous les cas qui peuvent surgir dans la pratique : il faut que l’équité la complète. Une décision équitable est celle que je crois devoir s’imposer à tout juge sans prévention, en vertu même des principes qui ont présidé à la création de l’ordre établi.

Les principes de la justice et de l’équité appartiennent encore à la morale inconsciente, puisqu’ils supposent un ordre établi dont la légitimité n’est pas démontrée. Ils trouvent leur fondement dans un autre principe vers lequel converge toute la morale rationnelle et qui est en même temps le lien entre la morale subjective et la morale objective : le principe de finalité.

La morale véritable repose tout entière sur cette idée que l’individu n’est qu’un moyen pour réaliser une fin qui le dépasse. Dès que l’individu se prend pour fin lui-même, il retombe dans la pseudo-morale de l’intérêt personnel, et Kant lui-même n’aboutit qu’à un égoïsme raffiné (550). À la lumière de cette idée, tous les principes subjectifs de morale prennent une signification inattendue : le prix de chacun d’eux, au regard de la conscience, est en proportion de sa valeur téléologique. Comme l’intelligence de la fin dernière n’est pas également développée dans tous les temps et chez tous les peuples, on comprend que la morale généralement reconnue n’ait pas été la même aux diverses époques de l’histoire. D’autre part, si la fin absolue est seule constante et que les fins partielles varient