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mais le lecteur reconnaîtra bientôt qu’il y aurait quelque naïveté à prendre à la lettre les déclarations de M. de Hartmann, et, sans mettre en doute le moins du monde leur sincérité, on peut trouver ici un bel exemple des illusions auxquelles s’exposent les faiseurs de systèmes. Pour qui ne s’est pas rendu familières au moins les grandes lignes de la philosophie de l’inconscient, la Phénoménologie de la conscience morale est un livre incohérent, confus, sans intérêt spéculatif jusqu’au dernier chapitre, et qui ne vaut que par des digressions étrangères au sujet. Au contraire, dès que l’on garde sans cesse présent à la mémoire le but poursuivi, le principe qui dirige les recherches et auquel elles doivent aboutir, tout s’illumine, l’ordre et l’enchaînement des parties n’ont plus de secrets, et l’on éprouve à suivre l’auteur dans sa marche le même plaisir artistique que nous cause un joueur d’échecs habile, lorsqu’il combine toutes ses manœuvres de manière à mater son adversaire avec un pion coiffé ou sur une case marquée d’avance.

La conscience morale, tel est l’objet des études de M, de Hartmann. Rechercher les différentes transformations de la conscience humaine, c’est rechercher aussi toutes les formes possibles que peut revêtir le principe de la moralité, et la phénoménologie de la conscience se révèle en même temps comme science des principes de l’éthique (viii). Au plus, bas degré de l’échelle, nous trouvons l’eudémonisme individuel, ou doctrine du plaisir, rangé par notre philosophe parmi les principes de pseudo-morale. La volonté inconsciente recherche naturellement le plaisir ; arrivée à la conscience, elle ne voit rien de plus simple que d’ériger en loi réfléchie ce qui lui servait déjà de règle spontanée. L’eudémonisme se présente sous plusieurs formes. Tantôt la volonté ne se propose pour but que le plaisir immédiat ; tantôt elle recherche dans la jouissance la durée plutôt que l’intensité et s’efforce d’ordonner sa vie de manière à goûter la plus grande somme de plaisir possible avec la moindre quantité de souffrance ; tantôt, reconnaissant le néant des biens terrestres et la prédominance inévitable du mal dans le monde, elle se réfugie dans l’espoir chimérique du bonheur de l’autre vie, ou, lorsque cette dernière illusion a été dissipée par les progrès de la pensée, renonçant à atteindre une félicité positive soit ici-bas, soit ailleurs, elle ne travaille plus qu’à un résultat tout négatif, la paix, l’ataraxie, le nirwâna, ici par l’ascétisme, là par le suicide (40).

Ainsi, arrivé au terme de son évolution naturelle, l’égoïsme qui s’était exalté au-dessus de toute chose finit par se renier et se rejeter avec horreur. La destruction de l’individu, telle est sa conclusion dernière-, mais cette conclusion répugne au sentiment naturel, et,