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reinach.le nouveau livre de hartmann

que d’accepter le verdict, récusent l’autorité des juges. Par exemple, certains matérialistes, après avoir, tant bien que mal, expliqué par les lois atomiques l’ensemble des phénomènes naturels, traitent le beau et le bien de dangereuses chimères, de véritables hallucinations dont le philosophe n’a pas à se préoccuper. Ainsi encore, les adhérents d’une théorie séduisante, qui a trouvé récemment ici un brillant interprète, se contentent de s’être mis en règle avec l’esthétique, et passent sous silence la morale ou la dénaturent en la ramenant à la science du beau. Il ne faut pas savoir trop mauvais gré à ces penseurs de s’être affranchis de scrupules embarrassants ; leurs thèses, utiles à développer, demandaient des avocats passionnés et exclusifs ; mais le critique doit rester convaincu qu’on ne supprime pas les difficultés en se les dissimulant.

On rendra cette justice à l’auteur de la Philosophie de l’inconscient qu’il a considéré ces procédés trop commodes, comme au-dessous de sa dignité de philosophe. Le nouveau et considérable volume qui vient de paraître sous un titre très-heureusement choisi, sinon très-modeste, renferme les principes fondamentaux de son éthique. La voici enfin la solution de cette question à laquelle, comme on l’a dit, « est suspendue toute la fantasmagorie du pessimisme » [1] : le sort en est jeté. Au bout de dix ans M. de Hartmann « est en état de livrer à la publicité son deuxième ouvrage principal » [2] ; son système, armé de toutes pièces, comparait devant le tribunal suprême de la morale ; et les condamnations sommaires fondées sur les témoignages de quelques disciples peu autorisés doivent faire place à un jugement plus éclairé, maintenant que le maître lui-même se présente à la barre.

On connaît les origines de la philosophie de M. de Hartmann. Plusieurs observations curieuses sur le rôle de l’inconscient dans la nature, d’une part, de l’autre un sentiment très-vif des misères de l’existence, lui ont fait concevoir une vaste synthèse dans laquelle l’idéalisme optimiste de Hegel s’est trouvé réuni, sinon concilié avec le dynamisme pessimiste de Schopenhauer. Pour Hartmann, l’Un-Tout, l’Être absolu n’est ni pure intelligence, ni pure volonté, mais un composé de ces deux facultés. Il joint à la sagesse parfaite la parfaite inconscience[3] ; tout au plus peut-on lui accorder la fonction psychique la plus élémentaire, le sentiment sourd de la souffrance infinie qui résulte de la non-satisfastion de la volonté[4]. Un jour, par

  1. M. Paul Janet, dans le Temps du 9 janvier 1879.
  2. Phénoménologie, préface, i.
  3. Philosophie de l’inconscient, traduction Nolen, tome ii, page 217.
  4. Ibid., ii, 228.