Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VII.djvu/384

Cette page n’a pas encore été corrigée
378
revue philosophique

plus favorable, que l’œuvre lente du temps. Longtemps encore, le principe de la propriété individuelle demeurera maître du terrain : et, lors même que dans un pays quelconque un mouvement populaire porterait les socialistes à la tête d’un gouvernement révolutionnaire, quelques attentats qu’ils viendraient à commettre contre la propriété, l’institution même survivrait ; ils l’accepteraient, ou elle reparaîtrait restaurée par leur chute. Il y a pour cela une excellente raison ; le peuple ne laissera pas périr la seule chose sur laquelle il puisse encore compter pour y trouver subsistance et sécurité, tant qu’il n’aura pas vu fonctionner avec ordre l’institution qui pourrait la remplacer. Ceux-là mêmes, s’il en était, qui se seraient partagé entre eux le fonds qui était auparavant la propriété d’autrui, voudraient garder ce qu’ils auraient acquis et refaire à la propriété, dans les mains de nouveaux détenteurs, le prestige sacré qu’ils refusaient d’y reconnaître quand elle était dans celles des anciens.

Mais si, pour ces raisons, la propriété individuelle a, selon toute apparence, un long avenir devant elle, rien ne nous oblige à croire qu’elle ne doive subir durant tout ce temps aucune modification, ni que tous les droits que l’on attache à la propriété lui appartiennent de manière à ne pouvoir en être détachés et doivent durer autant qu’elle. Au contraire, le devoir et l’intérêt de ceux qui tirent le profit le plus direct des lois de la propriété leur commandent de prêter une attention impartiale à toutes les propositions de changement qui rendraient ces lois en quelque sorte moins onéreuses à la majorité. Ce serait en tout cas une obligation imposée par la justice ; et c’est un conseil que donne la prudence, si l’on veut se placer sur le terrain de* la raison pour résister aux tentatives qui ne sauraient manquer de se renouveler fréquemment, en vue de réaliser prématurément les systèmes socialistes.

Une des erreurs qu’on rencontre le plus souvent et qui entraînent les plus grandes erreurs pratiques dans les affaires humaines, consiste à supposer que le même nom représente toujours le même groupe d’idées. Nul mot n’a été plus souvent l’objet de ce genre de méprises que celui de propriété. Il exprime dans tout état de société des droits d’usage ou d’empire exclusif sur des choses et quelquefois, par malheur, sur des personnes, que la loi accorde ou que la coutume reconnaît dans cet état de société. Mais ces droits d’usage et d’empire exclusif sont très-divers et diffèrent beaucoup dans les différents pays et les différents états de société.

Par exemple, dans les sociétés primitives, le droit de propriété ne comprenait pas le droit de tester. Le pouvoir de disposer de la propriété par testament serait, dans beaucoup de pays de l’Europe, une