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stuart mill.fragments inédits sur le socialisme

nique du faible par le fort. Ils ne s’aperçoivent pas qu’ils replongent le genre humain dans l’état de nature décrit par Hobbes d’une façon si saisissante (Léviathan, p. i., ch. xiii), où chaque homme est l’ennemi de tous les autres.

« Dans ces conditions, dit Hobbes, il n’y a point de place pour l’industrie, parce qu’on n’est jamais assuré d’en recueillir les fruits : par conséquent, point d’agriculture, point de navigation, point d’usage des denrées qu’on peut importer par mer, point de bâtiment commode, point d’instrument pour mouvoir et déplacer les choses qui demandent l’emploi de beaucoup de force ; point de connaissance de la face de la terre ; point de notion du temps, point d’arts, point de lettres, point de société, et, qui pis est, une crainte incessante et le danger d’une mort violente ; pour l’homme, une existence solitaire, pauvre, hideuse, bestiale et courte. »

Si les membres les plus pauvres et les plus malheureux d’une société prétendue civilisée se trouvent dans une condition aussi mauvaise que celle qui serait le partage de tous dans la pire forme de barbarie où la dissolution de la vie civilisée plongerait la société, il n’en résulte pas que le moyen de les élever au-dessus de leur condition présente consiste à réduire tous les autres au même état misérable. Au contraire, c’est aux premiers qui se sont élevés au-dessus de cet état que tant d’autres doivent d’avoir échappé au sort général, et l’on ne peut espérer de réussir dans l’avenir à élever le reste des hommes, qu’en donnant aux mêmes procédés une organisation meilleure.

L’idée de la propriété privée n’est pas fixée, mais variable.

Les considérations qui précèdent suffisent pour montrer qu’une rénovation entière de l’édifice social, telle que les socialistes l’envisagent, qui construirait la constitution économique de la société sur une base entièrement nouvelle, autre que la propriété privée et la concurrence, quelque valeur qu’elle puisse avoir comme idéal, et même à titre de prophétie de ce qui pourra advenir en définitive, n’en a aucune comme ressource pour les maux du présent. En effet, ce nouveau régime demande à ceux qui auraient la tâche de faire marcher le nouvel ordre de choses des qualités morales et intellectuelles qu’ils devraient tous posséder sans conteste et qu’il faudrait créer chez le plus grand nombre, ce qui ne saurait être l’effet d’une loi votée par le Parlement et qui ne peut être, dans la supposition la