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espinas. — philosophie expérimentale en italie

sulte que l’intervention d’aucun agent extérieur n’est nécessaire pour expliquer l’action à distance d’une partie de la matière sur une autre, pas plus que la liaison d’un moment de la force avec un autre moment. Le plein, la réalité continue fonde la solidarité de toutes les parties de la matière, comme l’homogénéité de tous les instants successifs où la force se déploie. Donc, 1° il n’est pas besoin de recourir à des hypothèses plus ou moins embarrassées pour expliquer l’action réciproque des monades. Ou plutôt, il n’y a pas de monades au sens de Leibnitz, parce que ce qui est primordial dans le monde, ce de quoi les choses sont faites, ce ne sont pas des distincts, à plus forte raison des distincts doués d’attributs aussi hautement différenciés que les monades ; c’est l’indistinct, point de départ de toute existence. Les unités élémentaires, ou considérées par nous comme étant telles, ne sont que des dérivés ultérieurs du fond substantiel de l’être ; et elles restent liées les unes avec les autres par ce fond même, sans qu’on soit obligé d’imaginer en elles ou ailleurs une pensée qui les mette en communication. 2° De plus, il n’est pas besoin de concevoir une efficace particulière destinée à expliquer la durée du monde ; d’un intervalle à l’autre de sa durée, le monde n’est pas en quelque sorte suspendu dans le vide ; en d’autres termes, il ne recommence pas à exister à chaque fois que les divisions infiniment petites du temps finissent et recommencent elles-mêmes. Le continu de la force unit ensemble les moments successifs de l’univers, comme le continu de la matière en joint les espaces distants. La grandeur de l’intervalle n’y fait rien ; car, qu’on y songe, la difficulté est aussi grande à expliquer l’action réciproque des parties d’un atome les unes sur les autres que l’action réciproque de deux systèmes sidéraux, et on conçoit sans plus de peine la continuité des effets entre un mouvement quelconque, pris au sein de la nébuleuse primitive, et l’oscillation d’une feuille sur un arbre, que la liaison qui unit entre eux les différents moments de l’oscillation d’une molécule d’éther. Rien de tout cela ne s’explique sans le continu sous-jacent, et au contraire, son existence admise (comment la nier, puisque tout distinct suppose un indistinct primitif ?), ces questions, qui ont fait le désespoir des métaphysiciens, sont du même coup résolues.

Mais, dira-t-on, s’il en est ainsi, il n’y a donc point de différence entre notre pensée et les choses ? Le monde est-il donc fait de la même matière que celle dont est faite notre pensée du monde, et la force en tant que conçue est-elle donc la même que la force en tant que réelle ? Bref, notre esprit absorbe donc la nature jusqu’en son fond ? N’y a-t-il rien au delà ? — Cette identité de la pensée et de l’être est résolument affirmée par M. Ardigò. La matière et la force,