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y avait place sur ce point à une discussion intéressante. Pourquoi M. Ardigò n’a-t-il pas jugé à propos d’entrer dans ce débat, qui s’est sans aucun doute agité dans son esprit ? C’est ce que nous ignorons. Peut-être est-il plus préoccupé d’achever sa construction du monde d’après le plan original qu’il a conçu, que de l’harmonie avec les constructions analogues qui s’élèvent en ce moment en Angleterre et en Allemagne. Espérons que son livre sur la théorie du distinct, que le hasard des circonstances a seul fait passer après celui-ci, marquera les différences par lesquelles ce système se distingue des autres et en donne la raison.

Quoiqu’il en soit, le devenir des choses réside tout entier, suivant Ardigò, dans le passsage incessant de l’indistinct au distinct, et du distinct à l’indistinct. La distinction se manifeste à nous de deux façons : dans l’espace, la distinction porte sur la matière, elle produit des formes ou des figures nouvelles ; dans le temps, la distinction porte sur la force, elle produit des phases, un rhythme spécial. Or il est de la plus haute importance de considérer ces distinctions comme subjectives, sinon comme arbitraires (puisque rien n’existe que par elles), c’est-à-dire d’y voir des divisions opérées par notre esprit sur un champ continu, qui reste tel en lui-même après ces divisions comme avant. « Pour nous représenter en une pensée distincte la matière distincte, nous sommes forcés de fixer l’attention sur des points placés aune certaine distance l’un de l’autre et de négliger les espaces intermédiaires continus de la ligne qui les joint. Mais on ne les nie pas pour cela. Et, de même, pour nous représenter en une pensée distincte la force distincte, nous fixons des points distants dans la succession continue du temps, négligeant, mais sans la nier, la continuité qui unit en réalité ces points mêmes. » Quelle que soit la grandeur, quelle que soit la petitesse des intervalles ainsi déterminés, on y peut toujours déterminer des intervalles nouveaux, l’extrêmement petit comportant autant de divisions que l’extrêmement grand. La continuité du champ divisible n’est en aucune façon rompue par les divisions, qui sont idéales. Cela revient à dire que l’unité du continu, soit dans la matière, soit dans la force, soit dans l’espace, soit dans le temps, survit à toutes les distinctions, parce que l’esprit peut toujours, par un nouveau travail, y opérer des distinctions nouvelles. Quelle est la nature de ce continu, de cette unité fondamentale ? Il n’y a pas de réponse à ces questions ; expliquer, c’est distinguer ; quand on veut expliquer le continu, on le supprime en le déterminant : seulement son existence s’impose comme la condition préalable de toute pensée.

La portée de ces énonciations abstraites est considérable ; il en ré-