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science, conserve une indépendance complète de jugement et pose les assises d’une philosophie nouvelle. L’auteur est trop modeste : son livre est plus qu’une interprétation ou qu’un compte rendu ; il est bien une esquisse d’un système, une esquisse qui a même été tracée avec quelque originalité de méthode et d’opinions. Il se compose en tout d’une introduction et de treize épîtres.

Dans son introduction, M. Lessewitch nous fait remarquer qu’on a eu tort de considérer la métaphysique comme le trait exclusif de la philosophie allemande. Il y a eu toujours dans ce pays, dit-il, même à l’époque de l’épanouissement suprême de la métaphysique, des tendances opposées et des directions d’un esprit complètement différent. Que dire, à plus forte raison, du moment actuel qui ne voit plus que les débris de systèmes métaphysiques et possède une philosophie véritablement scientifique ?

Un des traits caractéristiques de cette dernière, c’est son retour vers Kant. La nécessité de ce retour, dit-il, a été proclamée pour la première fois en 1865. Nous rappellerons que cet honneur revient à Otto Liebmann, dans sa dissertation : Kant und die Epigonen. L’expression véritable de cette tendance, c’est l’Histoire du matérialisme d’Albert Lange. M. Lessewitch fait observer toutefois que ce retour vers Kant n’est nullement un retour vers son système. Il passe en revue les principaux représentants de la direction dite néo-kantienne, tels que Lange, Riehl, Avenarius, Göring et démontre que cette école s’éloigne de Kant, comme de sa base primitive, à mesure qu’elle se développe. Entre elle et le maître il n’y a de commun que leur attitude critique vis-à-vis de la spéculation et de la métaphysique. Elle rejette tout ce qu’il y a de transcendant dans son système et n’en conserve que la méthode critique. L’esprit qui les pénètre, la tendance qui leur est propre, ne ressemblent plus en rien à celle du maître. C’est pourquoi M. Lessewitch n’appelle pas cette philosophie « critique », mais la désigne sous le nom de « philosophie scientifique, » (nom qu’elle se donne elle-même dans sa revue : Vierteljahrsschrift für wissenschaftliche Philosophie), tous ses efforts ayant pour but l’union étroite de la philosophie avec les sciences. M. Lessewitch se donne comme l’adepte sincère de cette école. Adversaire du positivisme, il en a démontré les erreurs dans son premier ouvrage. Caractériser les principes fondamentaux de cette philosophie nouvelle et de sa théorie de l’entendement, telle est la tâche qu’il s’impose dans le second.

Afin de motiver l’attitude de la philosophie « scientifique », l’auteur commence par nous expliquer la différence qu’il y a entre une attitude scientifique en général et celle des gens sans instruction véritable, ou pour mieux dire la différence qu’il y a entre la réflexion scientifique et la réflexion vulgaire. Il nous dépeint avec l’énergie qui lui est propre cette réflexion vulgaire, cette raison des sots qui consiste en expériences fortuites et purement individuelles. Ce qui perce dans cette caractéristique empreinte d’une ironie amère, c’est