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entre l’acte mental et le mouvement. Bain dit quelque part que la pensée est une parole ou un acte contenu. Ce mot pourrait servir d’épigraphe au passage dont nous parlons. La psychologie ontologique et abstraite, qui a si longtemps régné chez nous, semblait admettre comme une chose toute naturelle que, si « l’âme » est liée à des conditions organiques en ce qui concerne les sensations et la motilité, il y a entre ces deux périodes, l’une d’entrée, l’autre de sortie, une région mystérieuse, où règne l’esprit, dégagé de tout ce qui est sensible, ramené à sa « véritable essence », à l’état de pensée pure. C’est là une thèse chimérique, comme les faits le montrent, et dès qu’elle est renversée, les questions prennent un tout autre aspect, parce que l’événement mental apparaît comme lié partout et toujours à l’événement physique. L’entité âme disparaît et avec elle la conscience érigée en faculté, considérée comme un « œil intérieur », selon l’expression favorite de la vieille école. « Une image dominante, en plein éclat, autour de laquelle s’étend une constellation d’images pâlissantes, » tel est, dit M. Taine, notre état constant. Et il ne peut en être autrement. Pour s’en convaincre, voyons ce qui se passe, dès qu’une image reste quelques instants en pleine lumière. « En ce cas, un événement singulier se produit : tout de suite, elle se transforme en impulsion, en action, en expression, par suite en contraction musculaire. » Par exemple, lorsqu’une pensée arrive au premier plan, nous sommes tentés de l’énoncer tout haut. « Plus on imagine nettement et fortement une action, plus on est sur le point de la faire. Dans les naturels imaginatifs, l’idée d’un geste entraîne ce geste. » En un mot, on peut dire que, « quand l’image devient très-lumineuse, elle se change en impulsion motrice. » — On peut donc supposer que, s’il y a dans l’écorce cérébrale des points où l’image devient particulièrement claire, ces points se rencontrent là où les extrémités terminales de l’appareil intellectuel s’abouchent avec les extrémités initiales de l’appareil moteur. Pour plusieurs endroits, l’anatomie pathologique a montré cet abouchement. L’auteur rappelle les recherches de Broca sur l’aphasie, de Fritsch, de Hitzig, de Ferrier sur les centres psychomoteurs et il conclut en ces termes : « D’innombrables courants intellectuels cheminent ainsi dans notre intelligence et dans notre cerveau, sans que nous en ayons conscience, et ordinairement ils n’apparaissent à la conscience qu’au moment où, devenant moteurs, ils entrent dans un autre lit. » (Tome I, p. 482.)

Ce paragraphe, ajouté à la nouvelle édition, et dont nous n’indiquons ici que l’idée générale, nous paraît propre à jeter un grand jour sur le mécanisme de la conscience, c’est-à-dire sur la succession de nos états internes, car la conscience en elle-même est un fait ultime qui se dérobe à nos explications et sur lequel les métaphysiciens seuls peuvent disserter.

Signalons enfin la conclusion ajoutée par l’auteur aux dernières pages de son livre qui résume à grands traits sa doctrine sur la structure de l’intelligence. Il la compare à une cathédrale « dont les derniers élé-