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et Mrs Lamson nous donne à ce sujet les détails qui suivent : « On se demandera peut-être : Comment lisez-vous des livres à Laura ? — Je suis assise à sa gauche, tenant le livre avec ma main gauche et épelant avec ma main droite. C’est tout ce que j’ai à faire : le reste la regarde. À l’aide de sa main droite qu’elle remue légèrement sur mes doigts, jamais assez fort pour empêcher leurs mouvements, elle épelle ou plutôt lit les mots. Elle ne paraît pas avoir conscience de chaque lettre, pas plus que nous quand nous lisons avec nos yeux. Si rapidement qu’on parle avec les doigts, on ne le fait jamais trop vite pour qu’elle comprenne, et je lui parle avec une rapidité plus grande probablement que l’œil ne peut lire les mots. Pendant un an, ayant parlé plus avec mes doigts qu’avec ma langue, j’avais acquis une telle habitude que j’ai pu faire l’expérience suivante. Lorsqu’une personne assise près de moi lit haut, je ne puis l’interpréter aussi rapidement qu’elle lit ; mais, si elle lit devant un grand auditoire, je peux la suivre et répéter à Laura chaque mot à l’aide de mes doigts. Dans ce cas d’ailleurs, épeler n’est pas plus un acte de conscience pour nous que quand nous lisons avec nos yeux. » (P. 199-200.)

Le reste de la biographie de Laura Bridgman tient en peu de mots. En 1852, elle retourne à la maison paternelle pour y rester ; mais elle fut prise d’une sorte de nostalgie qui la ramena à l’asile. C’est là qu’elle vit depuis, se livrant à divers travaux manuels : elle vend aux visiteurs, avec un autographe, les petits objets qu’elle a fabriqués, c’est tout son revenu.

Dans une très-courte notice qui a été traduite ici (1876, tome I, p. 401), le Dr Howe nous donnait quelques détails sur son élève. Il s’était toujours promis d’en faire une monographie complète. Il est mort en 1876, laissant ce soin à Mrs Lamson, qui s’excuse de son insuffisance et ne promet au public que de l’exactitude. Sans elle, beaucoup de documents de cette curieuse histoire eussent été perdus pour la psychologie.

Th Ribot.

H. Taine : De l’Intelligence. 3e édition. 2 vol. in-18. — Paris, Hachette et Cie, 1878.

M. Taine vient de publier une édition corrigée et augmentée de son livre sur l’Intelligence. La Revue philosophique a consacré déjà à cet ouvrage une étude critique assez longue (juillet 1877, tome IV, p. 17) ; aussi nous bornerons-nous à signaler à nos lecteurs les changements propres à cette nouvelle édition.

Lorsque ce livre fut publié pour la première fois (il y a juste neuf ans), les études psychologiques étaient bien faibles en France. Par lui et grâce aux travaux étrangers empreints du même esprit, la situation a changé. Ce n’est pas, à vrai dire, que chez nous le nombre de ceux qui ravaillent aux progrès de la psychologie comme science de faits soit