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Même chez l’animal, on est trop porté de nos jours à exagérer le rôle de l’instinct ; on fait tout faire en lui par l’hérédité, mais l’art a toujours sa part dans les actes de l’animal comme dans ceux de l’homme. L’oiseau qui construit son nid n’est plus seulement un être poussé par l’instinct, c’est un véritable architecte ; il déploie, comme l’observe M. Russel Wallace, des facultés mentales de même ordre que celles du sauvage construisant sa hutte. Il sait profiter de toutes les circonstances extérieures, accommoder le nid au milieu. Pour prendre un exemple entre cent, le Xantorius varius des États-Unis fait un nid presque plat lorsqu’il peut l’asseoir sur des branches bien raides ; mais lorsque ce sont des branches flexibles comme celles du saule pleureur, qui vacillent sous le vent, il donne à son nid beaucoup plus de profondeur, pour que les petits ne tombent pas. En somme, l’oiseau imite, et il raisonne d’une façon plus ou moins rudimentaire : imitation et spontanéité, tout l’art n’est-il pas là en germe ? Les oiseaux élevés en cage ne savent plus faire un nid, ou du moins ils le font maladroitement, grossièrement : c’est que l’éducation leur manque, ils n’ont pas été à l’école. Comment réaliser ce nid qu’ils n’ont jamais vu, ce nid sauvage tremblant au bout d’une branche ? Cela prouve bien que l’instinct n’est pas tout chez eux. De même on a cru longtemps que le chant des oiseaux était inné et qu’un beau jour, quand ils ouvraient le bec, il en sortait tout naturellement une mélodie : c’est une erreur. L’hérédité, ici encore, a besoin d’être complétée par l’éducation, et elle peut être absolument effacée par elle. Les linottes de Barrington, élevées avec des alouettes, adoptèrent entièrement le chant de ces maîtres ; ainsi naturalisées alouettes, elles firent bande à part au milieu même des linottes ; probablement les alouettes ne les reconnaissaient guère non plus pour leurs pareilles, si bien qu’elles avaient perdu leur nationalité. L’homme est un peu comme ces linottes à tête folle qui oublient si vite leur chant national. On fait ce qu’on veut de l’enfant comme de l’oisillon ; on lui fait parler comme on fait reproduire telle ou telle langue morale, tel ou tel chant par le rossignol domestique. Sa conscience s’éveille ou s’obscurcit selon la volonté de l’instituteur, les circonstances et le milieu.

En somme, la moralité dont parle M. Spencer, et qu’il croit gravée par l’hérédité au fond même de notre organisme, nous paraît ressembler beaucoup à ces caractères préférés des savants du moyen âge et qui restaient à peu près illisibles pour ceux qui n’en avaient pas trouvé la clef. Nous avons beaucoup de choses écrites d’avance dans notre cerveau ; mais il faut apprendre à les déchiffrer : c’est le milieu, c’est l’éducation, ce sont les hasards de toute sorte qui nous