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jours les mêmes, analogues à ceux que l’hérédité fait accomplir aux animaux. Il ne faut pas confondre ici l’hérédité des instincts immoraux et dépravés avec celle des instincts moraux, ni conclure par analogie des uns aux autres. Les premiers sont tout simplement des penchants animaux éclatant tout à coup chez l’homme ; de là leur violence parfois irrésistible ; au fond, ils sont le symptôme d’un état anormal du cerveau, d’un manque d’équilibre dans l’organisme ; ils ne sont pas très-fréquents ; ce sont des exceptions, des maladies mentales. Au contraire, la moralité consiste dans l’harmonie et l’équilibre de toutes les tendances intérieures ; elle est l’affranchissement des instincts animaux et même en général de toute passion violente. Aussi croyons-nous que l’hérédité doit prendre en face d’elle une nouvelle forme, et qu’ici elle se manifeste rarement par des tendances très-déterminées. Un fiévreux a l’instinct de boire, instinct bien net et déterminé, tandis qu’un homme plein de santé n’a pas l’instinct de dépenser sa force en soulevant tel ou tel fardeau plutôt que tel autre,

La moralité a pour fond une sorte de santé morale ; nous croyons cette santé transmissible ; mais nous croyons qu’en général, et dans la moyenne des cas, la moralité héréditaire ne nous porte pas plus que la santé physique à tels ou tels actes, qu’elle ne nous fournit point ces « intuitions mystérieuses » dont parle M. Spencer, ces jugements a priori sur le juste et l’injuste. Chez l’homme, l’hérédité transmet plutôt les linéaments vagues, les germes indistincts d’une faculté nouvelle que cette faculté même ; elle n’agit pas dans le détail ; elle agit bien plutôt en gros, sur l’ensemble du caractère. Nous n’héritons pas, comme on pourrait le croire en lisant M. Spencer, d’un code tout fait, nous fixant d’avance notre conduite : mais nous héritons d’un certain nombre de sentiments indéterminés avec lesquels, sous l’influence du milieu et de l’éducation, nous faisons nous-mêmes ce code moral.

Il se produit pour le caractère la même chose que pour l’intelligence. Aucun de nous ne naît avec les théorèmes de géométrie tout démontrés dans la tête ; aucun de nous ne porte inscrits dans le cerveau, comme dans un phonographe, un certain nombre d’airs de musique : et cependant il est des personnes ayant de très-fortes dispositions naturelles pour la géométrie ou la musique. De même en ce qui concerne la morale : certains enfants naissent sans doute avec des dispositions vagues pour la pitié et les vertus affectives, pour le courage et les vertus personnelles ; mais ce sont là des tendances générales, des capacités, nullement des préceptes particuliers ; de plus, ces tendances dans la plupart des cas se développent