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dastre. — le problème physiologique de la vie

être le législateur de l’expérimentation physiologique, le fondateur de la critique expérimentale. Il a commencé cette œuvre en montrant précisément par l’exemple de son prédécesseur que l’expérimentation, si elle n’est guidée par des principes méthodiques, conduit à des résultats incertains ; un de ses premiers travaux a consisté, en effet, à effacer de la science les affligeantes contradictions de Magendie et de Longet à propos de la sensibilité récurrente.

C’est dans cette même pensée que Cl. Bernard a essayé de chasser du domaine de la physiologie la méthode numérique ou statistique que Bouillaud et Louis avaient préconisée autrefois en médecine. Les prétendues lois, conclusions obtenues par une telle méthode sont indignes du nom de lois, car au lieu d’exprimer la relation nécessaire des faits, elles n’en expriment que la fréquence ; elles ne concluent qu’à la probabilité, n’aboutissent qu’à la prévision conjecturale.

Voilà en raccourci les enseignements dont Cl. Bernard essayait de pénétrer l’intelligence de ses auditeurs du Collège de France. On peut contester l’opportunité de la réforme que préconisait l’illustre physiologiste. L’école clinique contemporaine ne s’est pas fait faute de la combattre comme utopique. On n’en doit pas moins reconnaître qu’ingrate ou féconde la tâche était digne d’un grand esprit. C’est une ambition analogue qui guidait Leibniz lorsqu’il ouvrait à la mathématique la voie royale (viam regiam) de l’analyse infinitésimale. L’avenir, qui tient dans sa main fermée le secret des choses, apprendra à nos successeurs si véritablement la physiologie expérimentale est la méthode rationnelle et sûre, « la voie royale » de la médecine.


Mais ce n’est point à ces doctrines médicales que nous avons affaire. Ce n’est point l’enseignement du Collège de France qui nous intéresse ici ; c’est le professeur du Muséum que nous devons faire connaître et que nous devons montrer dans son œuvre de la constitution de la physiologie générale.

Le public a peu connu les résultats consignés dans les leçons faites au Jardin des Plantes entre les années 1869 et 1878. Cette partie de la carrière scientifique de Cl. Bernard est presque ignorée ; beaucoup de ceux mêmes qui l’ont vue se dérouler sous leurs yeux n’en ont point compris le caractère. C’est seulement après la mort de Cl. Bernard, lorsque les leçons du Muséum, égrenées au jour le jour dans quelques recueils périodiques, ont été rapprochées, rassemblées dans le livre sur les Phénomènes de la vie, c’est seulement alors que les lecteurs attentifs ont commencé de s’apercevoir qu’ils se trou-