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procher de son but : d’abord, à la magie, à la sorcellerie, aux incantations pythagoriciennes, aux conjurations, aux harmonies de la musique ; plus tard, à l’observation et à l’empirisme, et enfin, mieux éclairé, à la science, comme à l’instrument le plus sûr qu’il ait à sa portée. Descartes considérait ainsi le but de la science : la connaissance des forces physiques doit, suivant le célèbre philosophe, « nous rendre maîtres et possesseurs de la nature », comme la connaissance des phénomènes vitaux doit nous « exempter d’une infinité de maladies tant du corps que de l’esprit et même aussi peut-être de l’affaiblissement de la vieillesse. »

Pour rendre la physiologie digne de cette domination des phénomènes vitaux et du gouvernement de la médecine, il faut donner à la méthode expérimentale toute la fécondité qui est en elle ; il faut, en en réglant l’application, lui faire porter tous ses fruits. C’est pourquoi Cl. Bernard a tant insisté sur la nécessité de fixer le déterminisme des phénomènes vitaux, c’est-à-dire de déterminer les conditions qui règlent l’apparition de ces phénomènes et en amènent la production à coup sûr. Le terrain de la science est encombré d’une multitude de recherches qui prouvent souvent plus de zèle que de véritable intelligence des principes de l’expérimentation. Un tel désordre perpétuerait pour la médecine moderne l’état où elle était autrefois et qui lui méritait le nom de « jardin de la controverse ». Il est urgent que la critique s’exerce sur ces matériaux encombrants. Les expériences sur les êtres vivants comportent une discipline rigoureuse qu’il y a un intérêt pressant à établir. C’est vers cette espèce de législation nécessaire de l’expérimentation physiologique que Cl. Bernard tournait ses efforts depuis tant d’années. Il ne pouvait avoir, après Magendie, la prétention d’ouvrir la voie de l’expérimentation ; son célèbre maître l’avait appliquée avec succès, comme jadis Bacon l’avait célébrée avec honneur. Il fallait la traduire en règles ; Cl. Bernard lui donna pour but le déterminisme, comme moyen la méthode comparative, comme modèle à suivre ses propres recherches, comme exemple à fuir toutes celles qui s’écartent de cette rigoureuse discipline. Magendie a chassé les systèmes de la culture des sciences de la vie, et il y a introduit l’expérimentation à outrance ; il n’a pas eu d’autre ambition que de laisser après lui quelques expériences. « Chacun, disait-il, aime à se comparer, dans sa sphère d’action, à quelque personnage illustre : celui-là à Michel-Ange, celui-là à Archimède, à Newton, à Descartes. Louis XIV se comparait au soleil. Je suis, moi, plus humble, un chiffonnier parcourant le domaine de la science, le crochet à la main et la hotte sur le dos. » Cl. Bernard avait une prétention plus haute ; il a voulu