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naville. — la physique et la morale

mais sur quoi se fonderait l’interdiction de sortir du domaine de la mécanique ? Si l’on aborde la science totale de l’univers en tenant pour un axiome l’affirmation que la mécanique est la science universelle, la question de la liberté ne se pose pas. Mais cet axiome est une thèse au moins contestable, qui s’introduit subrepticement dans l’étude de la nature. Les mouvements de la matière sont à la base de la vie et des phénomènes de l’ordre spirituel ; donc les lois de la mécanique s’appliquent à tout ; mais il n’en résulte pas qu’elles expliquent tout. De même, les lois mathématiques s’appliquent à tout, mais elles n’expliquent pas le plus simple des phénomènes de la physique, si l’on ne fait pas la place de la matière qui n’est pas renfermée dans l’objet des mathématiques. Faire d’une science particulière la science universelle, c’est le résultat du besoin d’unité qui est le principe des recherches philosophiques ; mais c’est le résultat de ce besoin d’unité, appliqué d’une manière maladive. Voici comment la question se pose pour un esprit libre de préjugés.

Le mouvement est un phénomène universel ; la science y ramène tous les phénomènes physiques objectivement considérés et toutes les conditions des phénomènes spirituels. On constate le mouvement, et on admet que tout mouvement a une cause ; c’est la base de la science. Le principe de causalité ne peut pas recevoir une application indéfinie. Nous nous élevons nécessairement au concept d’un état primitif qui, sans être expliqué, serait pour la science totale le point de départ de toute explication. Mais si, en constatant un mouvement dans l’enchaînement des phénomènes livrés à notre observation, nous admettions qu’il peut avoir en lui-même sa raison d’être, qu’il est parce qu’il est, sans aucun antécédent, toute recherche serait arrêtée. La cause d’un mouvement est d’abord un affirmé quant à son existence, mais indéterminé quant à sa nature. Déterminer la nature des causes de mouvement, ou des forces, est le principal effort de la science. Dans l’ordre purement physique, le mouvement d’un corps est modifié par la présence ou par le mouvement d’autres corps. Dans la nature vivante, les lois physiques ne pouvant pas rendre compte de la formation des organismes, il faut admettre, au moins à titre provisoire, l’existence de forces plastiques, ce qui n’entraîne aucune détermination de leur nature autre que celle de pouvoir réaliser les effets qu’elles produisent. Dans les données de la psychologie, on rencontre le devoir, la responsabilité et tous les jugements qui dérivent de ces données primitives et qui supposent une force libre en quelque mesure, ou un pouvoir propre de détermination. La réduction des forces plastiques aux lois de la physique n’est pas impossible en théorie ; elle est seulement impro-