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direction déterminée aux mouvements physiques ambiants, qui sont exactement les mêmes pour les semences mortes et pour celles qui ont conservé la vitalité. Cette considération permet d’entendre les paroles de Claude Bernard, qui, pour expliquer les phénomènes vitaux, recourt à l’idée « d’une force vitale législative, mais nullement exécutive[1] ». Comment entendre qu’il y ait quelque chose d’exécuté sans une force exécutive ? On comprend, dans l’ordre des questions sociales, l’existence d’un pouvoir législatif prenant des décisions qu’un autre pouvoir exécute ; mais qu’est-ce qu’une force législative ? Cela ne s’entend pas ; mais ce qui s’entend fort bien et donne un sens entièrement satisfaisant au texte de Claude Bernard, c’est la pensée qu’il existe dans les êtres vivants des forces directrices et non créatrices, qui font des emplois divers de mouvements physiques dont la somme reste la même. On peut donc admettre pour l’interprétation des phénomènes vitaux l’existence de forces qui changent la direction du mouvement et non sa quantité. Cela est possible, et sera probable aussi longtemps que l’on n’aura pas constaté dans les germes vivants une forme de l’agrégat et un mouvement qui seraient les antécédents intelligibles du développement de la vie des plantes et des animaux.

Le principe de la constance de la force ne s’oppose donc pas à l’admission de forces plastiques qui, sans être des mouvements, sont des causes de mouvement, de même qu’en physique la présence d’un corps est une cause de mouvement sans être un mouvement. Cette considération s’applique au corps humain comme à tout autre organisme. La force plastique, spontanée quant aux éléments physiques, est d’ailleurs déterminée dans son action et réalise un type que le milieu extérieur modifie par des influences accidentelles, mais dont le principe se trouve dans l’organisme même. J’aborde maintenant d’une manière directe la question qui m’a fait prendre la plume.

La morale suppose et réclame chez l’homme un pouvoir se déterminant par lui-même, dans une certaine mesure. En admettant que tout dans le corps humain soit soumis au déterminisme physiologique, quant à la partie exécutive des phénomènes, il suffit, pour que le postulat de la morale demeure intact, qu’il existe un élément de liberté dans la partie directrice des phénomènes. Cette remarque juste et profonde a été faite par Claude Bernard[2].

Pâris dit à Hector, dans le treizième chant de l’Iliade : « La valeur

  1. Leçons sur les phénomènes de la vie communs aux animaux et aux végétaux, page 51.
  2. Voir en particulier le Rapport sur les progrès et la marche de la physiologie générale, p. 233, et les Leçons sur les phénomènes de la vie communs aux animaux et aux végétaux, p. 61 et 62.