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tance, étant une cause de modification du mouvement, est une force. Il semble donc bien, à première vue, que l’idée de la matière et l’idée de la force se confondent, mais c’est là une illusion. L’occupation d’une partie de l’espace qui se manifeste par la forme est une conception géométrique distincte de l’idée dynamique du pouvoir par lequel la résistance d’un corps modifie le mouvement d’un autre. La différence subsiste dans le cas où l’on conçoit le principe des corps comme n’étant que le centre d’où rayonne une force, de telle sorte que l’occupation actuelle d’une portion de l’espace soit relative et puisse disparaître, par l’effet d’une compression suffisante, pour devenir simplement virtuelle. Il reste toujours, en effet, le centre de la force, c’est-à-dire le point qui est le principe de toute localisation dans l’espace ; et l’idée du point conserve, par opposition à toute notion dynamique, le caractère d’un concept géométrique.

Il faut observer encore que la force de résistance qui constitue pour nous l’idée des corps n’est le principe d’aucune impulsion. Cette force modifie le mouvement, mais sous condition que le mouvement existe, car il faut bien que l’existence d’une chose précède ses modifications. Il est donc impossible de ramener à l’unité la matière et la force, l’élément géométrique et l’élément dynamique, sans prendre le terme force dans un sens équivoque par lequel on identifie, d’une manière abusive, les deux notions distinctes de l’impulsion et de la résistance. Pour expliquer les phénomènes que le monde physique livre à notre observation, il faut la matière, le mouvement et les lois de la modification du mouvement. M. de Candolle le reconnaît. Après avoir dit : « Tout mouvement a pour cause un mouvement antérieur, » il limite lui-même le caractère absolu de cette affirmation, en disant que l’explication des phénomènes du mouvement suppose « la double base du mouvement et des obstacles[1] ». Les obstacles sont la résistance opposée par des corps, à l’état de repos relatif, aux mouvements des autres corps. Il résulte de là qu’en physique ce n’est pas seulement le mouvement qui est force, ou cause des modifications du mouvement, mais aussi la présence des corps. Or la présence d’un corps peut être conçue comme une force qui change la direction du mouvement sans en changer la quantité. Supposons en effet un système de corps en mouvement, et plaçons-y par la pensée un corps considéré comme primitivement immobile ; la direction des mouvements du système sera changée sans altération dans la quantité. Il va sans dire qu’il s’agit ici d’une conception purement théorique, puisqu’un corps ne peut pas être introduit sans que son introduction soit un mouvement ; mais, en supposant

  1. Histoire des sciences et des savants depuis deux siècles, p. 464.