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naville. — la physique et la morale

ditions et à toutes les manifestations de la vie spirituelle, la cause de la liberté morale n’est pas compromise. Je désire prouver que, même en admettant cette supposition, le conflit entre la physique et la morale n’est qu’apparent, parce que :

1o Sous le rapport de l’espace, la direction des mouvements peut être modifiée, leur quantité demeurant la même ;

2o Sous le rapport du temps, les manifestations actuelles d’une somme constante de forces peuvent se produire à des moments divers, sans que la quantité de la force varie.

Examinons d’abord le premier point. Si par la pensée on isole une planète de l’ensemble de son système, il est clair qu’elle peut se mouvoir sur son orbite, dans un sens ou dans l’autre, la quantité de son mouvement demeurant égale ; c’est la conséquence indéniable de l’indifférence dynamique de l’espace. De même, lorsqu’une locomotive est placée sur un chemin de fer horizontal, elle peut prendre une direction ou l’autre, la force de la machine et la force employée par le mécanicien restant les mêmes. Donc la direction du mouvement peut varier, sans que sa quantité varie. J’ai émis cette idée dans la Bibliothèque universelle de juillet 1873, sans me rendre compte alors que c’était peut-être une réminiscence inconsciente de la lecture de Descartes[1], et sans savoir que M. Cournot avait publié la même pensée[2]. Un correspondant de la Critique philosophique[3] a combattu mon affirmation en se fondant sur l’identité de la notion de la force et de la notion du mouvement. Cette identité de la force et du mouvement a été affirmée par plusieurs savants contemporains. M. Beaunis, par exemple, dit que la première des lois générales du mouvement est que « tout mouvement a pour antécédent un mouvement[4] ». M. Alphonse de Candolle affirme que « tout mouvement a pour cause un mouvement antérieur[5] ». Si cela est admis, si toute force est un mouvement, l’objection faite à la thèse que j’ai soutenue est irréfutable. Lorsqu’on conçoit le commencement absolu d’un mouvement, il est bien clair que, la quantité étant la même, la direction peut être différente ; mais la science expérimentale n’a jamais à prendre en considération un commencement absolu. La volonté humaine inter-

  1. « Descartes a reconnu que les âmes ne peuvent point donner de la force au corps, parce qu’il y a toujours la même quantité de force dans la matière. Cependant il a cru que l’âme pouvait changer la direction du corps. » (Leibniz, Monadologie, § 80.)
  2. Séances et travaux de l’Académie des sciences morales et politiques, tome cix, page 704.
  3. 21 août 1873.
  4. Nouveaux éléments de physiologie humaine, p. 16.
  5. Histoire des sciences et des savants depuis deux siècles, p. 450.