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naville. — la physique et la morale

morale s’écroulent. Quels sont, dans cet état de la question, les essais tentés pour sauver l’ordre moral des étreintes d’une science négative de la liberté ?

La Critique philosophique du 21 août 1873 a reçu et enregistré dans ses pages la communication suivante : « La Critique philosophique se montre empressée en toute occasion à défendre la cause du libre arbitre. D’une autre part, elle a promis dans son prospectus de traiter les questions philosophiques liées à la doctrine physique de la conservation de la force. On voudrait savoir ce que ses honorables rédacteurs pensent de la possibilité de concilier cette doctrine avec celle de la liberté, ou comment ils font pour ne pas voir dans la théorie qui ramène toutes les forces naturelles à l’unité, un argument irrésistible en faveur du déterminisme universel. »

M. Renouvier a répondu en niant l’universalité des applications du principe de la constance de la force. « Nous n’admettons pas, dit-il, que les sciences chevauchent hors de leur domaine et se tournent indûment en métaphysique. C’est ce qui arrive quand on attribue au principe de la constance de la force une universalité pour laquelle on n’a ni garantie ni induction solide. Nous nions formellement cette universalité. » Après avoir présenté des considérations relatives au rapport de causalité qui existe entre les désirs, la volonté, les divers phénomènes psychiques et le mouvement, l’auteur ajoute : « La constance des forces trouverait, comme le déterminisme, une limite et une exception dans la liberté, et peut-être non pas dans la liberté seulement, mais encore dans les passions animales qui, simplement occasionnées par des mouvements externes, auraient la vertu d’en produire d’autres à nouveau. »

Cette manière de penser peut trouver un appui dans des arguments fort solides. La constance de la force, c’est-à-dire, je le répète, le maintien d’une quantité égale de mouvement actuel ou virtuel dans l’univers, n’est certainement ni un principe a priori, ni l’expression immédiate des faits observés. Qui a pu observer, par exemple, l’équivalent du mouvement qui constitue les rayons solaires en dehors de leur action sur notre planète ? La constance de la force est une hypothèse en voie de confirmation. Admettons qu’elle soit valable pour le monde physique tout entier ; mais au delà ? Dans l’ordre physiologique, la démonstration du principe est commencée, mais n’est pas terminée ; et, dans les phénomènes moraux, on rencontre des faits directement observables qui s’opposent à l’hypothèse prise dans un sens absolu, car le sentiment de la responsabilité et l’idée du devoir sont des faits aussi certains pour la conscience que le mouvement peut être certain pour la perception sensible. Et