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naville. — la physique et la morale

des faits de conscience. Ils cherchent dans la physiologie les conditions de phénomènes psychiques dont la connaissance est manifestement la condition nécessaire et préalable des recherches auxquelles ils se livrent.

Des rapports du physique et du moral résultent deux conséquences. La première est l’importance morale de l’hygiène. Nos penchants sont déterminés par l’état de nos organes. Cela est évident pour les penchants proprement sensuels ; et, lorsqu’on y réfléchit, on voit facilement que tous les phénomènes psychiques sont soumis à cette loi : les faits du sentiment de l’intelligence et de la volonté ont des conditions physiologiques aussi bien que nos divers appétits. Pour s’en assurer, il suffit de considérer les effets de l’alcool et des narcotiques sur tout l’ensemble des fonctions spirituelles. L’hygiène, le régime, la discipline du corps entendue dans son sens le plus large, ont donc une action évidente sur le moral ; c’est une vérité à laquelle on ne saurait se rendre trop attentif pour l’éducation de l’enfance et pour le gouvernement de soi-même. La seconde conséquence qui résulte des rapports du physique et du moral est l’importance physiologique de la vertu. Je prends ici le terme vertu dans son sens étymologique et direct, où il désigne l’effort, l’effort dont le résultat, en ce qui concerne l’objet de mon étude, est de maintenir les fonctions des sens dans leurs justes limites et de prévenir les excès qui nuisent à l’organisme. Que le vice, la lâcheté spirituelle, l’absence d’efforts ait une large part dans la genèse des maladies et dans les causes de la mort, c’est ce que personne ne saurait contester.

Les deux conséquences qui viennent d’être indiquées supposent chez l’homme un principe de liberté. Pour la seconde, cela est d’une évidence immédiate, puisqu’il s’agit d’un appel direct à la volonté raisonnable et libre contre les impulsions involontaires des sens. Pour la première, cela n’est pas moins évident au fond, parce que des conseils d’hygiène et de régime supposent, aussi bien que les directions de la plus haute morale, l’existence d’une volonté raisonnable et libre à laquelle on s’adresse. On répare des machines lorsqu’elles ont quelque défaut ; on ne leur donne pas de conseils. L’hygiène est une science sans doute ; mais, comme l’a dit Jean-Jacques Rousseau, elle est une vertu plus encore qu’une science, parce que ses prescriptions les plus importantes sont très-élémentaires et ne sont point ignorées, dans le plus grand nombre des cas, de ceux qui les violent. Mais la réduction progressive de la physiologie à la physique, et la constatation des rapports étroits de la physiologie et des phénomènes spirituels permettent-elles d’admettre l’existence de la liberté ? En suivant le cours des pensées que cette question