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cière elle-même, il y a dans l’institution qui fait de la rente du sol une propriété privée, une question que je me réserve, comme je l’ai dit, de discuter plus tard ; en effet, on pourrait apporter à la tenure du sol des modifications qui paraissent désirables ; on pourrait déclarer toute la terre propriété de l’État, sans toucher en rien au droit de propriété sur tout ce qui est le produit du travail et de l’abstinence de l’homme.

Il m’a paru convenable de commencer la discussion du socialisme par ces remarques, destinées à rabattre les exagérations des socialistes, afin que l’on puisse se faire une idée exacte du véritable débat qui s’agite entre le socialisme et la société actuelle. Le système actuel ne nous plonge pas, comme bien des socialistes le croient, dans un état d’indigence générale et dans un esclavage d’où le socialisme seul peut nous tirer. Les maux et les injustices dont on souffre dans le système actuel sont grands ; mais, loin de s’accroître, ils tendent en général à diminuer graduellement. En outre, l’inégalité dans la distribution des produits entre le capital et le travail, si blessante qu’elle soit pour le sentiment de justice naturelle, ne fournirait point, si l’on se bornait à l’effacer, un fonds suffisant pour relever le niveau abaissé de la rémunération, ni aussi considérable que les socialistes et bien d’autres qu’eux sont portés à le supposer. Il n’est pas d’injustice, pas d’abus florissant actuellement dans la société, dont on puisse dire qu’il suffit de l’abolir pour faire passer le genre humain d’un état de souffrance à un état de bonheur. La tâche que nous nous proposons, consiste à comparer froidement les deux systèmes sociaux différents, pour décider lequel des deux offre le plus de ressources pour surmonter les inévitables difficultés de la vie. Enfin, si nous trouvons que la solution est plus difficile et dépend plus des conditions morales et intellectuelles qu’on ne le croit d’ordinaire, nous avons d’autre part la satisfaction de penser que nous avons du temps devant nous pour élaborer la question à la lumière de l’expérience, en la soumettant à des épreuves réelles. Seules des épreuves réelles, selon moi, pourront nous apprendre si les plans socialistes sont susceptibles d’application, et si les effets de ces plans sont profitables ; mais je crois aussi que les motifs intellectuels et moraux sur lesquels le socialisme repose, méritent l’étude la plus attentive, parce qu’ils nous révèlent le plus souvent les principes propres à diriger les améliorations nécessaires qui donneraient au système économique actuel de la société ses meilleures chances.

John Stuart Mill.
(À suivre.)