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stuart mill.fragments inédits sur le socialisme

dangereuse pour ceux qui s’en rendent coupables. Au contraire, on spécule sur la fourberie, et l’avantage reste au fourbe ; que la fourberie réussisse, et le fourbe fait sa fortune ou la conserve ; qu’elle échoue, c’est tout au plus s’il se trouve réduit à la pauvreté qui le menaçait déjà peut-être, quand il s’est décidé à courir la chance. Les gens qui n’y regardent pas de près, et ceux mêmes qui savent ce qu’il a fait, ne le rangent pas parmi les infâmes, mais parmi les malheureux. Tant qu’on n’aura pas mis en pratique contre l’insolvabilité coupable un traitement moral et rationnel, et qu’on n’aura pas échoué dans cette expérience, on n’aura pas le droit de compter l’improbité commerciale parmi les maux dont l’existence est inséparable de la concurrence dans le commerce.

Il est un autre point sur lequel on commet beaucoup d’erreurs, tant dans le camp des socialistes que dans celui des unions ouvrières et d’autres personnes qui prennent parti pour le travail contre le capital : c’est la question de savoir d’après quelle proportion la production du pays est en réalité partagée, et de déterminer la quantité qui en est effectivement détournée au détriment des producteurs, en vue d’enrichir d’autres personnes. Je m’abstiens pour le moment de parler de la terre ; c’est une question à part. Mais, sur celle du capital engagé dans les affaires, le peuple entretient des idées où il entre une bonne part d’illusion. Par exemple, un capitaliste met-il dans ses affaires 500,000 francs pour en tirer un revenu de 50,000 francs par an, l’impression générale est qu’il a l’usufruit de 50,000 et de 500,000 francs, tandis que le travailleur n’est propriétaire que de son salaire. Pourtant la vérité est qu’il n’obtient les 50,000 francs qu’à la condition de n’appliquer aucune partie des 500,000 à son propre usage. Il en est légalement le maître ; il peut les gaspiller s’il le veut ; mais, s’il le fait, il n’aura plus les 50,000 francs par an. Tant qu’il tire un revenu de son capital, il n’a pas le choix de le soustraire à l’usage d’autrui. Toute la partie de son capital qui consiste en bâtiments, outillage et instruments de production, se trouve appliquée à la production et ne saurait l’être à l’entretien ou au plaisir de personne. La partie qui peut recevoir cette application (y compris ce que coûtent l’entretien et le renouvellement des bâtiments et de l’outillage) est payée aux travailleurs et constitue leur rémunération, comme aussi leur part dans la division du produit. Pour tout ce qui rentre dans la jouissance personnelle, les ouvriers ont le capital ; le capitaliste n’a que les profits, et il ne les obtient qu’à la condition d’employer le capital lui-même à satisfaire les besoins des travailleurs au lieu des siens. La proportion qui existe habituellement entre les profits du capital et le capital lui-même (ou plutôt la partie circulante du