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stuart mill.fragments inédits sur le socialisme

dès lors l’honnête commerçant se trouve placé dans une situation très-désavantageuse. C’est ainsi que les fraudes introduites par un petit nombre d’individus deviennent les habitudes reçues du commerce, et que la moralité des classes commerçantes se dégrade de plus en plus.

Sur ce point, donc, les socialistes ont réellement démontré l’existence d’un mal grave et qui, de plus, tend à s’aggraver à mesure que la population et la richesse s’accroissent. Il faut dire, cependant, que la société n’a pas encore employé les moyens qu’elle possède déjà d’attaquer ce mal corps à corps. Les lois pénales dirigées contre la fraude commerciale sont très-défectueuses, et l’exécution en laisse encore plus à désirer. Il n’y a pas de chance de voir observer ces lois, à moins que quelqu’un n’ait pour devoir spécial de les appliquer. Le besoin de l’intervention du ministère public s’y fait particulièrement sentir. On n’a pas encore découvert jusqu’à quel point il serait possible de réprimer par des lois pénales un ordre de méfaits qui n’arrivent aujourd’hui que bien rarement devant les tribunaux et pour lesquels, lorsqu’ils y sont traduits, la justice anglaise montre le plus souvent une indulgence fort mal placée. Cependant il y a moyen de combattre celles de ces fraudes qui intéressent le plus le peuple, celles qui portent sur le prix ou sur la qualité des articles de consommation quotidienne. On peut leur opposer l’institution des sociétés coopératives de consommation. Dans les associations formées à cette fin, les consommateurs peuvent se passer des détaillants et tirer leurs articles directement des marchands en gros, ou ce qui vaut mieux, aujourd’hui qu’il s’est établi des agences coopératives de gros, des producteurs mêmes. Ils s’affranchissent par là du lourd impôt que l’on paye aujourd’hui aux distributeurs, et en même temps ils se débarrassent des coupables auteurs de sophistications et d’autres fraudes. La distribution devient, dans ces associations, un travail réservé à des agents choisis et payés par ceux qui n’ont d’autre intérêt que le bon marché et la bonne qualité des marchandises ; et l’on peut réduire le nombre des distributeurs au chiffre réellement exigé par la somme de travail à faire. La difficulté du système de l’association de consommation, c’est qu’il faut que les gérants soient habiles et fidèles, et que le corps de l’association ne peut exercer sur eux qu’un contrôle très-imparfait. Toutefois le grand succès et le développement rapide de ce système prouve qu’on a assez bien surmonté ces difficultés. En tout cas, si les bons effets de la concurrence des détaillants en vue du bon marché ont fait leur temps, et s’il faut, pour la remplacer, chercher d’autres garanties, on est parvenu jusqu’à un certain point