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de faits notoires. Il n’est pas encore prouvé qu’il y ait un pays dans le monde civilisé où les salaires ordinaires du travail, évalués en argent ou en articles de consommation, soient en déclin ; au contraire, dans beaucoup de pays, ils croissent en définitive, et leur accroissement, loin de se ralentir, s’accélère. Il arrive de temps en temps que des branches de l’industrie se trouvent graduellement supplantées par d’autres ; alors on y voit les salaires déprimés jusqu’à ce que la production se remette en équilibre avec la demande. C’est un mal sans doute, mais un mal temporaire et auquel on pourrait apporter un grand soulagement, même dans le système actuel d’économie sociale. Quand une diminution de ce genre se produit dans la rémunération du travail d’une industrie particulière, elle est l’effet et la preuve d’un accroissement de rémunération ou d’une nouvelle cause de rémunération dans une autre industrie ; la rémunération totale ou moyenne ne diminuant pas, mais plutôt augmentant. Pour savoir si une diminution apparente du taux des salaires dans une des grandes branches de l’industrie est réelle, il est toujours nécessaire de comparer un mois ou une année de dépression particulière et temporaire dans le présent au taux moyen, ou même à un taux exceptionnellement élevé d’une époque antérieure. Les vicissitudes des salaires sont assurément un grand mal, mais elles ont été aussi fréquentes et aussi cruelles aux premiers temps de l’histoire économique qu’elles le sont aujourd’hui. Comme les transactions s’opèrent sur une plus grande échelle et que le nombre des personnes intéressées dans chaque fluctuation est plus grand, l’oscillation paraît plus grande. Mais, bien qu’une plus nombreuse partie de la population fournisse un plus grand nombre de victimes, le mal ne pèse pas aussi lourdement sur chacune d’elles individuellement. Il y a bien des preuves que la manière de vivre de la population ouvrière des pays de l’Europe s’améliore, il n’y en a point de sérieuse qu’elle se détériore. Si l’on trouve quelque apparence du contraire, c’est qu’on est tombé sur un fait local d’une portée étendue, que l’on peut toujours attribuer aux effets d’une calamité temporaire, ou d’une loi mauvaise, ou d’une folle mesure de gouvernement, tous effets qu’on peut amender. Au contraire, les causes permanentes agissent toutes dans le sens de l’amélioration.

Aussi M. Louis Blanc, tout en faisant preuve de plus de lumières que la vieille école des niveleurs et des démocrates, en ce qu’il reconnaît le rapport qui unit l’abaissement des salaires et l’extrême rapidité de l’accroissement de la population, paraît-il tomber dans l’erreur qu’avaient commise Malthus et ses disciples : celle de supposer que, puisque la population croît avec plus de rapidité que les