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stuart mill.fragments inédits sur le socialisme

propriétés industrielles et territoriales de la nation appartiendraient à une minorité qui en absorberait tous les revenus, pendant que l’immense majorité, attachée aux bagnes manufacturiers et courbée sur la glèbe, rongerait le salaire qu’on voudrait bien lui laisser…[1] » Ce résultat désastreux doit être l’effet du simple progrès de la concurrence, telle que M. Louis Blanc nous l’a dépeinte dans le passage que nous avons cité, et de l’accroissement des dettes nationales que Considérant regarde comme les hypothèques qui grèvent le sol et le capital du pays, dont « les capitalistes prêteurs » deviennent de plus en plus les copropriétaires, et du revenu desquels ils touchent, sans travail ni risque aucun, une part toujours plus grande.


Examen des objections des socialistes à l’ordre actuel de la société.

Il est impossible de nier que les considérations que nous venons de présenter dans le dernier chapitre ne portent une terrible accusation soit contre l’ordre actuel de la société, soit contre la position de l’homme dans ce monde. Quelle somme de maux peut-on attribuer à l’ordre social ? quelle à la situation de l’homme ? Telle est la principale question théorique qui demande une solution. Mais il n’y a pas de mal si cruel qu’on ne puisse encore en exagérer l’horreur, et bon nombre de lecteurs ne manqueront pas de voir, aux passages que nous avons cités, que les exagérations ne font pas défaut dans les exposés que les socialistes les plus éminents et les plus loyaux nous ont présentés. Sans doute beaucoup de leurs allégations sont irréfutables, mais il y en a beaucoup aussi qui sont le résultat d’erreurs d’économie politique. Je n’entends pas, je le dis une fois pour toutes, prétendre que ces socialistes rejettent les règles pratiques de politique que les économistes ont posées. Je veux dire qu’ils ne tiennent pas compte des faits économiques, ni des causes par lesquelles les phénomènes économiques de la société telle qu’elle est se trouvent déterminés

En premier lieu, il est malheureusement vrai que les salaires du travail ordinaire, dans tous les pays de l’Europe, sont misérablement insuffisants pour satisfaire d’une manière passable aux besoins matériels et moraux de la population. Mais, quand on ajoute que cette rémunération insuffisante a une tendance à diminuer ; qu’il y a, pour employer les propres expressions de M. Louis Blanc, une baisse continue des salaires, on se met en contradiction avec tout ce que les informations sérieuses nous apprennent et avec un grand nombre

  1. V. Considérant, Destinée sociale, I, p. 134.