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stuart mill.fragments inédits sur le socialisme

perditions qu’on voit se renouveler chaque jour, à l’abri du principe philosophique : Laissez faire les marchands.

« 6o Le commerce spolie encore par les pertes, avaries, coulages, etc., qui proviennent de l’extrême dissémination des produits et des denrées dans des millions de magasins de détail, et par la multitude et la complication des transports morcelés.

« 7o Il spolie le corps social par une usure sans limites et sans vergogne, une usure effrayante. En effet, le commerçant opère toujours avec un capital fictif, très-supérieur à son capital réel. Tel commerçant, avec un fonds de 30,000 francs, agit, en émettant des billets, par des virements et des payements successifs sur un fonds de 100, 200, 300,000 francs ; il tire donc de ce capital qu’il n’a pas des intérêts usuraires, sans proportion avec ce qu’il possède véritablement.

« 8o Il spolie le corps social par des banqueroutes sans nombre : car les accidents journaliers de nos relations industrielles, les commotions politiques, les perturbations de toute espèce amènent le jour où le négociant, qui a émis des billets au delà de ses moyens, ne peut plus faire face à ses affaires ; sa débâcle, frauduleuse ou non, porte de rudes coups à ses créanciers. La banqueroute des uns entraîne celle des autres ; c’est un feu de file de banqueroute, une dévastation. Et c’est toujours le producteur et le consommateur qui pâtissent, puisque le commerce, considéré en masse, ne crée pas les richesses et n’engage que des valeurs très-faibles par rapport à la richesse sociale qui passe tout entière entre ses mains. Aussi combien de fabriques sont écrasées sous ces contre-coups ! combien de sources fécondes sont taries par ces menées et ces désastres !

« 9o Il spolie le corps social par l’indépendance et l’irresponsabilité qui lui permettent de n’acheter qu’aux époques où les producteurs, par obligation de se procurer des fonds pour payer les loyers et les avances de la production, sont forcés de vendre et se font entre eux concurrence. Quand les marchés sont très-pourvus et les produits à vil prix, le commerce achète. Puis il opère la hausse, et, par cette manœuvre bien simple, il dépouille le producteur et le consommateur.

« 10o Il spolie le corps social par une considérable soustraction de capitaux, qui reviendront à l’industrie productive quand le commerce jouera un rôle subordonné, ne sera plus qu’une agence opérant des transactions directes entre les grands centres de consommation, des communes sociétaires, et des producteurs plus ou moins éloignés. Ainsi les capitaux engagés dans les spéculations du commerce, quelque faibles qu’ils soient comparativement à l’immensité