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tous ses rivaux, les prix remontent. La concurrence conduit au monopole ; par la même raison, le bon marché conduit à l’exagération des prix ; ainsi, ce qui a été une arme de guerre parmi les producteurs devient tôt ou tard pour les consommateurs eux-mêmes une cause de pauvreté. Que si à cette cause on ajoute toutes celles que nous avons déjà énumérées, et en première ligne l’accroissement désordonné de la population, il faudra bien reconnaître, comme un fait né directement de la concurrence, l’appauvrissement de la masse des consommateurs.

« Mais, d’un autre côté, cette concurrence, qui tend à tarir les sources de la consommation, presse la production à une activité dévorante. La confusion produite par l’antagonisme universel dérobe à chaque producteur la connaissance du marché. Il faut qu’il compte sur le hasard pour l’écoulement de ses produits, qu’il enfante dans les ténèbres. Pourquoi se modérerait-il, surtout lorsqu’il lui est permis de rejeter ses pertes sur le salaire si éminemment élastique de l’ouvrier ? Il n’est pas jusqu’à ceux qui produisent à perte qui ne continuent à produire, parce qu’ils ne veulent pas laisser périr la valeur de leurs machines, de leurs outils, de leurs matières premières, de leurs constructions, de ce qui leur reste encore de clientèle, et parce que l’industrie, sous l’empire du principe de la concurrence, n’étant plus qu’un jeu de hasard, le joueur ne veut pas renoncer au bénéfice possible de quelque heureux coup de dé.

« Donc, et nous ne saurions trop insister sur ce résultat, la concurrence force la production à s’accroître et la consommation à décroître ; donc elle va précisément contre le but de la science économique ; donc elle est tout à la fois oppression et démence…

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« Je n’ai rien dit, pour éviter les lieux communs et les vérités devenues déclamatoires à force d’être vraies, de l’effroyable pourriture morale que l’industrie, organisée ou plutôt désorganisée comme elle l’est aujourd’hui, a déposée au sein de la bourgeoisie. Tout est devenu vénal, et la concurrence a envahi jusqu’au domaine de la pensée.

« Les fabriques écrasant les métiers ; les magasins somptueux absorbant les magasins modestes ; l’artisan qui s’appartient remplacé par le journalier qui ne s’appartient pas ; l’exploitation par la charrue dominant l’exploitation par la bêche et faisant passer le champ du pauvre sous la souveraineté honteuse de l’usurier ; les faillites se multipliant ; l’industrie transformée par l’extension mal réglée du crédit en jeu, où le gain de la partie n’est assuré à personne, pas même au fripon ; et enfin ce vaste désordre, si propre à éveiller