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stuart mill.fragments inédits sur le socialisme

que je fais s’accordent avec mes propres sentiments ou en diffèrent.

L’exposé le plus clair, le plus condensé, le plus précis et le plus spécifique des idées des socialistes en général contre l’état actuel de la société, dans le domaine économique des affaires humaines, se rencontre dans le petit livre de M. Louis Blanc, intitulé : Organisation du travail. C’est donc à ce traité que j’emprunterai mes premières citations :

« La concurrence est pour le peuple un système d’extermination.

Le pauvre est-il un membre ou un ennemi de la société ? Qu’on réponde.

Il trouve tout autour de lui le sol occupé.

Peut-il semer la terre pour son propre compte ? Non, parce que le droit de premier occupant est devenu droit de propriété.

Peut-il cueillir les fruits que la main de Dieu a fait mûrir sur le passage des hommes ? Non, parce que cela constitue un droit que le gouvernement affirme.

Peut-il puiser de l’eau à une fontaine enclavée dans un champ ? Non, parce que le propriétaire du champ est, en vertu du droit d’accession, propriétaire de la fontaine.

Peut-il, mourant de faim et de soif, tendre la main à la pitié de ses semblables ? Non, parce qu’il y a des lois contre la mendicité.

Peut-il, épuisé de fatigue et manquant d’asile, s’endormir sur le pavé des rues ? Non, parce qu’il y a des lois contre le vagabondage.

Peut-il, fuyant cette patrie homicide où tout lui est refusé, aller demander des moyens de vivre loin des lieux où la vie lui a été donnée ? Non, parce qu’il n’est permis de changer de contrée qu’à de certaines conditions impossibles pour lui.

Que fera donc ce malheureux ? Il vous dira : « J’ai des bras, j’ai une intelligence, j’ai de la force, j’ai de la jeunesse ; prenez tout cela, et en échange donnez-moi un peu de pain. » C’est ce que font, disent aujourd’hui les prolétaires. Mais ici même vous pouvez répondre au pauvre : « Je n’ai pas de travail à vous donner. » Que voulez-vous qu’il fasse alors ?…

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

« … Qu’est-ce que la concurrence relativement aux travailleurs ? C’est le travail mis aux enchères. Un entrepreneur a besoin d’un ouvrier ; trois se présentent. — Combien pour votre travail ? — Trois francs : j’ai une femme et des enfants. — Bien, et vous ? — Deux francs et demi : je n’ai pas d’enfants, mais une femme. — À merveille. Et vous ? — Deux francs me suffisent : je suis seul. — À vous donc la préférence. C’en est fait ; le marché est conclu. Que devien-