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profit de leur thèse tous les maux existant actuellement dans la société, soit que ces maux semblent des effets probables des arrangements sociaux, soit qu’ils proviennent d’autres causes ; pourvu qu’ils ne soient pas la conséquence des lois de la nature que la puissance et la science de l’homme ne sont point encore en mesure de contre-balancer.

Du moment qu’il y a des maux moraux, ainsi que des maux physiques, qui trouveraient naturellement leur remède si chacun faisait ce qu’il doit, on a bien le droit de les imputer à l’état de société qui les souffre ; ils constituent des arguments recevables, jusqu’à ce qu’on ait montré que tout autre état de société impliquerait une somme égale ou plus grande de maux du même genre. D’après les socialistes, les dispositions actuelles de la société en ce qui touche la propriété, la production et la distribution de la richesse, considérées comme moyens de réaliser le bien général, manquent complètement leur but. Il y a, disent-ils, une masse énorme de mal que ces dispositions ne parviennent pas à prévenir ; le bien tant moral que physique qu’elles produisent est d’une valeur misérable en comparaison de la quantité d’effort employé, et cette chétive somme de bien ne s’obtient encore que par des moyens féconds en conséquences pernicieuses, tant morales que physiques.

En premier lieu, au nombre des maux sociaux existants, on peut citer la pauvreté. Les défenseurs et les preneurs de l’institution de la propriété insistent surtout sur cette raison que c’est le moyen d’assurer au travail et à la frugalité leur récompense, et de permettre à l’homme de se tirer de l’indigence. C’est possible ; la plupart des socialistes accordent qu’il en a été ainsi dans les premiers temps de l’histoire. Mais l’institution ne peut rien de plus ni rien de mieux sur ce point que ce qu’elle a produit jusqu’ici ; l’efficacité, affirment-ils, en est parfaitement insignifiante. À quel chiffre s’élève, dans l s pays les plus civilisés de l’Europe, le nombre de ceux qui jouissent personnellement de ce qu’on pourrait appeler les profits de la propriété ? On peut dire que si la propriété n’était aux mains des employeurs, les ouvriers manqueraient de leur pain quotidien. Mais, cela accordé, il n’en reste pas moins que leur pain quotidien, c’est tout ce qu’ils possèdent ; souvent même, ils n’en possèdent qu’une quantité insuffisante, presque constamment de qualité inférieure, et ils ne sont pas sûrs d’en avoir toujours ; un nombre immense de membres des classes industrieuses se trouvent, à un moment ou à un autre de leur existence (et tout le monde est susceptible de tomber en cet état), dépendants, au moins pour un temps, de la charité légale ou volontaire. Ce serait une tâche superflue en ce mo-