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se proclament socialistes, appellation sous laquelle les partisans de systèmes très-divers viennent se confondre, mais qui implique au moins l’idée d’un remaniement de l’institution de la propriété privée, qui se rapproche beaucoup de l’abolition de cette institution.

On trouverait peut-être, même en Angleterre, que les meneurs les plus en vue et les plus actifs des classes ouvrières sont dans le fond de vrais socialistes. Mais, comme la plupart des hommes politiques anglais, ils savent mieux que leurs frères du continent que l’on ne saurait accomplir par un coup de main des changements grands et durables dans les idées fondamentales des hommes. Aussi dirigent-ils leurs efforts vers des buts qui semblent plus faciles à atteindre, et se contentent-ils de garder pour eux toutes les théories extrêmes jusqu’à ce qu’on ait fait sur une petite échelle l’épreuve des principes qui les inspirent. Tant que les classes ouvrières d’Angleterre garderont cet esprit, l’esprit anglais, il n’est pas probable qu’elles se jettent tête baissée dans les aventures et les excès de certains socialistes étrangers, qu’on voit, en Suisse même, ce pays de la sagesse, proclamer qu’ils se contenteront pour commencer d’une subversion pure et simple, et qu’ils laisseront la reconstruction se faire plus tard d’elle-même. Ajoutons que, par le mot subversion, ils n’entendent pas seulement la destruction de tout gouvernement, mais l’expropriation de toute sorte de propriété, qui l’ôterait à ses détenteurs actuels pour la consacrer au profit de tous. Par quels moyens ? Il sera temps, disent-ils, d’y aviser plus tard. Le patronage qu’une feuille publique, organe d’une association ouvrière (la Solidarité de Neuchâtel) a donné à cette doctrine, est un des signes les plus curieux du temps. Les meneurs des ouvriers anglais, dont les délégués aux congrès de Genève et de Bâle ont le plus contribué à donner à ces assemblées le bon sens pratique qu’elles ont montré, ne songent probablement pas à débuter résolûment par l’anarchie, avant d’avoir une opinion arrêtée sur le régime social qu’il conviendrait d’établir à la place de l’ancien. Mais il est évident qu’on ne saurait bien juger les moyens qu’ils proposent, ni motiver un jugement par des raisons convaincantes pour le public, à moins de se livrer à une étude préalable des deux théories opposées, celle qui conclut en faveur de la propriété privée et celle du socialisme, auxquelles il faudra nécessairement emprunter la plupart des prémisses de la discussion. Avant, donc, qu’on puisse examiner utilement ces questions dans les détails, il convient d’étudier les fondements de celles que soulève le socialisme. Il faut procéder à cet examen sans préjugé hostile. Quelque irréfutables que les arguments favorables aux lois de la propriété puissent paraître à ceux