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stuart mill.fragments inédits sur le socialisme

n’a pas été mise sérieusement en question, si ce n’est par quelques théoriciens. La raison en est que les luttes du passé n’ont intéressé que des classes qui avaient le même intérêt à maintenir la constitution existante de la propriété. Il n’en sera plus de même désormais : quand une classe de la société, dont les membres n’ont presque aucune propriété à eux, et n’ont d’intérêt à cette institution qu’autant qu’elle est profitable à l’intérêt public, prendront part à la discussion, elle n’acceptera rien sans preuve, et, moins que tout le reste assurément, le principe de la propriété privée, dont la légitimité et l’utilité sont niées par nombre de gens qui raisonnent au point de vue de la classe ouvrière. Cette classe demandera certainement que la question soit remise à l’étude dans tous ses éléments, depuis la base jusqu’au sommet. Elle voudra qu’on examine à fond toutes les propositions tendant à supprimer cette institution, et toutes les modifications qu’on pourrait y faire, pour peu qu’elles aient l’air d’être favorables aux intérêts des ouvriers ; elle exigera qu’on les discute à fond, avant de décider si la question doit rester en l’état. En Angleterre, les dispositions de la classe ouvrière ne se sont jusqu’ici montrées hostiles qu’à certains hors-d’œuvre du système de la propriété. Beaucoup voudraient soustraire la question des salaires à la loi de la liberté des contrats, l’une des attributions ordinaires de la propriété privée. Les plus hardis nient que la terre soit une chose dont on puisse légitimement faire une propriété privée. Ils ont commencé à demander que l’État la reprenne. À ces réclamations s’en ajoutent d’autres : on entend certains agitateurs déclamer contre ce qu’ils appellent l’usure, dont ils ne donnent d’ailleurs aucune définition. Il ne semble pas que ce grief ait pris naissance en Angleterre ; il paraît plutôt s’y être introduit par suite des rapports qui se sont établis récemment, grâce aux Congrès du travail et à la Société internationale des travailleurs, entre les ouvriers anglais et les socialistes du continent qui rejettent l’intérêt de l’argent et nient qu’on puisse tirer légitimement un revenu d’aucune forme de propriété, le travail excepté. Cette doctrine ne nous paraît pas jusqu’ici se propager beaucoup dans la Grande-Bretagne, mais le terrain est bien préparé pour recevoir les semences de ce genre venues de pays étrangers, où les plans vastes, les idées générales, les théories et les systèmes prodigues de promesses infinies, loin d’inspirer de la méfiance pour une cause, sont des conditions nécessaires de succès. C’est en France, en Allemagne, en Suisse, que les doctrines hostiles à la propriété, au sens le plus large, ont rallié des masses d’ouvriers. Dans ces pays, presque tous ceux qui se proposent la réforme de la société dans l’intérêt de la classe ouvrière