Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VII.djvu/23

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
17
janet. — perception visuelle de la distance

d’expliquer un phénomène en le ramenant à des phénomènes déjà connus ; et, quand nous arrivons aux phénomènes premiers, nous sommes déconcertés, et nous voulons à toute force les réduire : il n’est nullement évident a priori que la nature devra toujours se prêter à nos besoins d’analyse. Il peut y avoir antinomie entre la science et la vérité. La vérité peut exiger que nous reconnaissions des phénomènes irréductibles ; la science voudrait que tous les phénomènes fussent réduits. Qui doit avoir raison de la science ou de la vérité ? Il nous semble que c’est la vérité. Tout ce qu’on peut exiger du philosophe, c’est de pousser l’analyse à ses dernières limites possibles et de ne pas fermer la science par un appel paresseux aux faits premiers et à l’intuition immédiate : mais ce n’est nullement un devoir philosophique de supprimer toujours et partout l’intuition immédiate : ces observations s’étendent bien au delà de la question actuelle ; mais elles pourraient s’y appliquer. Il nous semble que dans cette question de la perception de distance, comme dans tout ce qui regarde l’instinct, on arrive forcément à quelque chose d’inné : cette innéité serait-elle elle-même, comme on l’a supposé, le résultat d’une longue expérience héréditaire ? C’est une autre question, que nous n’avons pas abordée : mais, dans les termes où la question a été posée jusqu’ici, il nous semble bien difficile de s’en tenir à l’opinion reçue.

Paul Janet,
de l’Institut.