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rieure et qui se confond avec la chose en soi[1]. Mais la doctrine de l’aperception reconnaît encore le moi logique, qui n’est « ni une intuition ni un concept, mais la forme de la conscience qui accompagne les deux espèces de représentation[2]. » Or le moi logique est en relation, d’une part, avec le moi nouménal, et, de l’autre, avec les catégories, car il est le fondement de toute aperception[3]. Comme corrélatif du moi nouménal, il implique l’idée d’existence en général. Comme condition de l’unité de l’aperception, « au lieu de se connaître lui-même par les catégories, il connaît les catégories et, avec elles, tous les objets par lui-même[4]. » N’étant pensé par aucune catégorie, c’est-à-dire étant quelque chose d’absolument simple, il est donc pensé exclusivement comme existant. Quelle est cette existence singulière qui échappe à la catégorie de l’être ? La première édition de la Critique ne le dit pas.

C’est à cette question que répond une courte remarque des Prolégomènes : « La représentation du moi n’est pas une notion, mais le sentiment d’une existence[5]. » Ce n’est qu’un mot, mais très-significatif pour l’histoire de la pensée de Kant. Après avoir modifié sa conception idéaliste en donnant plus de force à l’affirmation des choses en soi, il est conduit à insister sur la réalité du moi. Le développement s’achèvera dans la seconde édition de la Critique.

IV. Rapports des Prolégomènes a la Critique de la raison pure. — Les Prolégomènes diffèrent donc de la Critique sur trois points essentiels. Une nouvelle exposition de la déduction des catégories résume cette théorie fondamentale en quelques pages d’une incomparable netteté. — Le problème de l’idéalisme est déplacé. La thèse propre de l’idéalisme transcendantal, à savoir l’idéalité du temps et de l’espace, impliquant l’usage empirique des catégories, est maintenue ; mais, au lieu d’insister sur la réalité des phénomènes, Kant insiste sur la réalité des choses en soi. — Enfin une remarque isolée, ajoutée sans doute par Kant au moment où il achevait les Prolégomènes, indique que la doctrine du moi est sur le point de subir une transformation corrélative. Mais ces changements, si importants qu’ils soient, laissent intacts les résultats essentiels de la Critique, et Kant n’a pas eu conscience d’une modification quelconque de ses pensées, « car il n’avait jamais douté de l’existence des choses et du moi. » Telle est la conclusion de M. Erdmann.

Est-elle exacte ? On peut l’accepter sans doute, si l’on ne considère que le fond des idées. Mais elle ne rend pas tout à fait, à mon avis, l’impression qu’on emporte de la lecture des Prolégomènes rapprochés de la Critique de la raison pure. Celui qui aborde la Critique en

  1. Crit., tome ii, p. 457.
  2. Crit., tome ii, p. 459.
  3. Cf. la distinction du sens problématique et du sens assertorique de la proposition : « Je pense. » (Crit., tome ii, p. 7-8.)
  4. Crit., tome ii, p. 471.
  5. Prolég., p. 131.