Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VII.djvu/215

Cette page n’a pas encore été corrigée
209
analyses. — benno erdmann. Kant’s Prolegomena.

Könisberg préparait un travail important. Au commencement de 1781, la Critique paraît, et Kant n’entend d’abord ni blâme ni éloge, mais, s’élevant de tous côtés et jusque dans son entourage, un concert dé plaintes sur l’obscurité impénétrable de son œuvre. Hamann dans ses lettres à l’éditeur de la Critique se récrie sur les efforts que lui coûte cette lecture. L’éditeur lui-même est inquiet ; l’édition ne s’écoule pas. C’était la faute de Kant. Il avait écrit en quatre ou cinq mois un ouvrage médité pendant douze ans de travail solitaire, sans avoir souci des exigences du lecteur. Il dut le reconnaître et songea dès lors à donner un exposé populaire de sa doctrine. D’autre part, il était mécontent du chapitre principal de l’analytique, celui qui a pour objet la déduction des catégories. Dans la préface de la 1re édition de la Critique, où il déclare que a l’opinion est proscrite de son œuvre », et que « l’hypothèse est une marchandise prohibée qui ne doit être mise en vente à aucun prix », il avoue qu’un passage de ce chapitre contient « quelque chose de semblable à une hypothèse[1] ». Pour d’autres raisons encore[2], il voulait remanier toute cette argumentation. Tel fut le premier dessein des Prolégomènes. Ils devaient présenter les résultats essentiels de la Critique, et une exposition plus claire de la déduction. Kant se mita l’œuvre aussitôt, si bien qu’en octobre de la même année Hamann supposait que le manuscrit était prêt pour l’impression. Retardé par des difficultés de rédaction, il pouvait néanmoins, au commencement de janvier 1782, exprimer l’espoir d’en avoir fini pour Pâques avec « son petit écrit ». Certainement une grande partie en était achevée, quand parut dans le numéro du 19 janvier 1782 du Journal des Savants de Göttingue la première appréciation publique de la Critique de la raison pure.

Ce compte rendu a une histoire que M. Erdmann nous conte avec beaucoup de verve : elle est piquante, et montre combien se ressemblent les éclectiques de tous les temps. Jean-George Feder, un des champions de l’éclectisme de ce temps-là, était un des principaux rédacteurs du journal de Göttingue. Il avait feuilleté le volumineux exemplaire de la Critique ; mais trop satisfait de ses idées pour pénétrer bien avant dans celles des autres, et choqué des violentes attaques de Kant contre la métaphysique de l’école, il se rebuta et mil le livre de côté. Garve, en quête de travail, reprit la tâche, et comme l’analyse qu’il apporta était trop longue pour le journal, Feder voulut bien la revoir et la resserrer, en la relevant de quelques vues historiques toutes personnelles, par exemple sur les rapports de Kant et de Berkeley. Ainsi abrégée, l’analyse ne faisait pas trop mauvaise figure ; le ton tranchant des jugements en masquait la faiblesse ; Hamann la trouva très-convenable.

Kant fut très-irrité. L’idée originale de ses recherches était méconnue, et sa doctrine travestie. On n’y voyait qu’un idéalisme vulgaire

  1. Crit., tome Ier, p. 10. Traduction Barni.
  2. Cf. Prolég., p. 204. Traduction Tissot.