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ques, qui sont de notre part une défense plutôt qu’une attaque, nous rendons hommage au talent, à la science, à l’habileté dialectique, à l’élévation des vues et des doctrines de M. Chauffard. Une si forte et vive réfutation du mécanisme est bien faite pour nous plaire, et nous devons nous féliciter de trouver parmi les médecins et les physiologistes, à l’avant-garde, pour ainsi dire, du vrai spiritualisme et pour la défense des doctrines qui nous sont communes, un auxiliaire si convaincu et si habile.

Francisque Bouillier,
de l’Institut.


E. Caro. — Le pessimisme au xixe siècle. Leopardi. Schopenhauer. Hartmann.1 vol. in-18o, 298 p. Paris, 1878. Hachette et Cie.

La Revue philosophique a consacré aux représentants les plus originaux du pessimisme des études étendues, approfondies, dont nos lecteurs ont apprécié toute la valeur. Nous n’avons pas à y revenir. Si nous présentons aujourd’hui cette courte analyse d’un ouvrage purement historique et critique, c’est d’abord parce que le nom de l’auteur est à lui seul une autorité, c’est surtout parce que le livre a toute la valeur d’un travail original.

Nous devons reconnaître franchement, dans l’ouvrage qui nous occupe, un vrai défaut. Il est écrit dans une langue exquise, d’un style transparent jusqu’à la limpidité, fin jusqu’à la délicatesse et brillant jusqu’à l’éclat. C’est là sans doute un tort grave et qui nuira fort au moins auprès de ceux qui estiment qu’un écrivain ne saurait être un philosophe et que le mérite de la forme est nécessairement une marque de faiblesse ou d’indigence dans la pensée. Pour nous, nous oserons confesser que nous n’en jugeons pas tout à fait de la sorte. Nous regrettons sincèrement que la tradition de Descartes, de Condillac et de Voltaire ait été si généralement abandonnée et que la pauvre langue française, si rudement menée par bien des contemporains, ne soit plus comprise, écrite et respectée comme elle le fut par deux grands Allemands, Leibniz et Frédéric ii. Toutefois, nous convenons sans amertume, mais avec mélancolie, qu’il est sage de regarder couler les fleuves en se croisant les bras et de ne pas chercher à les faire remonter vers leurs sources. Nous tâcherons donc de faire oublier le talent d’écrivain de M. Caro, en indiquant brièvement les vues nouvelles qu’il nous apporte sur une doctrine singulière qui est en train de faire son tour d Europe.

Les philosophies vivent moins par la savante architecture des systèmes qu’elles construisent que par la profondeur de la poésie qu’elles savent inspirer. Werther a plus fait que l’Éthique pour le succès du panthéisme. Supposez que le temps eût respecté les ouvrages d’Épicure en détruisant le poème de Lucrèce, il est sûr que l’épicurisme n’y aurait pas beaucoup gagné. Le pessimisme, d’ailleurs, a moins d’impor-