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que le support inférieur des fonctions vivantes. Le mouvement fournit la condition générale de toute existence vivante, « mais la vie comme cause est distincte du mouvement. »

Disons-nous donc autre chose, et ne faisons-nous pas l’âme ou la vie, avec l’énergie motrice, qui est son essence, profondément distincte du mouvement qu’elle produit ? L’âme meut sans doute, elle meut le corps, elle agit sans cesse sur toutes nos fonctions, sur tous nos organes ; sans cesse elle est tendue, pour ainsi dire, sans cesse elle fait effort ; il n’y a pas de pensée si déliée, de sentiment si léger qui ne soit accompagné de quelque mouvement dans les organes. Mais l’âme ne meut que d’une certaine façon et non comme la boule qui en pousse une autre, elle meut avec des conditions et avec des attributs qui lui sont propres. Le mouvement qu’elle produit, elle le produit spontanément ou même volontairement, et non pas mécaniquement ; elle en a conscience, elle en est maîtresse. Cela ne suffit-il pas pour assurer son individualité et pour empêcher qu’elle se confonde avec les autres forces de l’univers, bien qu’elle produise, comme elles, du mouvement, et bien que l’énergie motrice soit leur essence commune ?

Si l’on en croit M. Chauffard, qui nous paraît en général moins bon psychologue que physiologiste, cette notion de l’âme ne serait qu’une pure hypothèse, une fiction de notre imagination, tandis qu’elle se fonde au contraire sur le témoignage le plus clair, le plus certain de la conscience. Que nous méditions, que nous sentions, de même que lorsque nous voulons et agissons, nous ne nous connaissons pas nous-mêmes autrement que comme cause ou comme force toujours agissante. Il faudrait que notre savant contradicteur fût en mesure de prouver la fausseté de ce témoignage, non pas seulement contre nous-même, mais contre Maine de Biran et contre bien d’autres psychologues qui ont affirmé que la conscience de l’effort est immanente ou que la perception de la résistance, comme dit Herbert Spencer, entre dans tout témoignage du sens intime, aussi bien quand je cherche la solution d’un problème que quand je lève mon bras.

Mais, après avoir montré par où pèche une critique qui, en même temps que nous, atteindrait toute l’école spiritualiste, après avoir mis en lumière la confusion sur laquelle elle se fonde, voyons ce que l’auteur prétend lui-même substituer à cette énergie motrice qui lui paraît si pleine d’inconvénients et de dangers et quelle est la découverte ou l’heureuse rectification qui doit tout éclaircir et tout sauver. La puissance génératrice, et non l’énergie motrice, voilà, selon M. Chauffard, la seule vraie définition de l’âme. « L’âme est, dit-il, une puissance génératrice en travail immanent, la vie une génération continue ; toute la philosophie de l’âme et de la vie est dans ces mots. » Claude Bernard a dit : La vie est une création ; tel est le texte que M. Chauffard commente à sa façon et dont il nous semble étendre outre mesure la véritable signification. Quelque ingénieux ou subtils que soient les raisonnements par lesquels il cherche à prouver que l’infinie variété des