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exemple, que l’organisation est la conséquence d’une loi organogénique qui préexiste. Nous sommes toujours dans les abstractions, et la question n’est nullement éclaircie. « La loi, dit très-bien M. Chauffard, n’est et ne saurait être qu’un rapport. Pas plus que l’idée, la loi n’a de corps, c’est-à-dire une existence propre, virtuelle, indépendante. Il n’y a pas de loi organogénique préexistante et créant l’organisation. Ce langage est figuré, et c’est une illusion que de le donner pour un langage précis et rigoureusement scientifique. La loi et l’idée veulent être substantialisées pour gouverner quoi que ce soit ; sans cela elles représentent des mots, au lieu des choses. »

Il est vrai que, sentant la nécessité de dépasser la notion d’idée ou de loi pour atteindre la cause véritable, Claude Bernard fait parfois appel à une force vitale créatrice de l’organisation et poursuivant son œuvre, à partir du germe, pendant toute la durée de l’être vivant. Mais que de scrupules, d’hésitations, de restrictions au sujet de cette force vitale, à laquelle il semble conduit comme malgré lui, quand il veut s’élever au-dessus des phénomènes pour remonter à leur cause ! À peine ce mot lui a-t-il échappé qu’il voudrait, dirait-on, le retirer, tant il est obsédé par la crainte de ramener quelque cause occulte dans la science ! « Le mot force dans les sciences expérimentales, s’empressera-t-il d’ajouter, pour ne citer qu’un exemple, n’est qu’une abstraction ou une forme de langage. On ne saisit pas les forces, on n’agit pas sur elles, il n’y a que les phénomènes qu’on puisse atteindre. » Où donc trouverons-nous cette puissance qui préside aux phénomènes de la vie et dont l’œuvre est si visible et si merveilleuse, à partir du germe jusqu’à la mort ? Comment expliquer avec les seules lois de la physique et de la chimie l’être vivant tout entier ? Je veux que le germe une fois donné, comme dit Leibniz, tout puisse s’expliquer physiquement et chimiquement mais le germe lui-même, qui me l’expliquera ? Pourquoi de germes semblables sortira-t-il ceci et non cela, une mouche et non un éléphant ? On peut bien mettre au défi tous les chimistes et tous les physiciens du monde d’en donner la raison, à moins de faire intervenir quelque puissance informante, idée directrice incarnée, âme ou force vitale, qu’on l’appelle comme on voudra. Quelle force invincible, pour tout esprit non prévenu, l’embryogénie n’apporte-t-elle pas au principe de finalité dans les êtres organisés ! Ici encore, comme à propos de Stahl, M. Chauffard prend la défense de la force vitale, de l’expression même, et non pas seulement de la chose, quoiqu’il doive fort mal les traiter l’une et l’autre, comme bientôt nous le verrons.

Mais, quelles que soient les incertitudes de Claude Bernard sur le principe même de la vie, il le loue d’avoir néanmoins distingué, avec autant de force dans la pensée que d’élévation dans le langage, les lois propres à la physiologie dans leur principe d’avec les lois physico-chimiques et la cause même de la vie d’avec les conditions de son exercice, bien qu’il ne soit pas toujours facile de concilier cette distinction avec ce qu’il dit ailleurs du déterminisme des phénomènes. Le but