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En second lieu, quelle est l’origine de la matière physique, c’est-à-dire de cette combinaison de sensations à laquelle, pour le métaphysicien, se ramène la matière ? La science a le droit de poser cette question, mais ne saurait la résoudre ; elle ne serait pas plus habile à déterminer les relations de la conscience et de cette matière physique, c’est-à-dire de la conscience et du monde visible, et, enfin, de ces deux termes avec le monde invisible.

Nous n’avons donc aucun moyen de nous représenter le monde invisible comme un monde physique, et il nous reste à rechercher quel parti nous pouvons tirer de ce fait que nos émotions morales sont de nos sensations les seules incomplètes, les seules qui permettent d’imaginer un développement ultérieur. L’éthique seule nous permettra de passer, si le passage nous est jamais donné, du monde visible au monde invisible.

« Le raisonnement pratique qui consiste en un choix actuel entre des émotions est, de sa propre nature et par définition, téléologique et procède par la formation d’un idéal ; il suppose une fin désirée, et le désir fait de cette fin une cause finale d’action. Tout raisonnement est de l’ordre de la volonté ; mais le raisonnement pratique se distingue du raisonnement spéculatif par une tendance à posséder ou à effectuer le bien en tant que distinct, non séparé, du vrai. Le raisonnement pratique nous porte ainsi, nécessairement et instinctivement, par cette méthode même d’idéaliser, du monde visible au monde invisible comme contenant l’idéal. Tous les êtres conscients sont des agents qui concourent à faire du monde invisible ce qu’il est. Leurs volitions rendent évidente la nature de ce monde, qui, de toute autre manière, reste inconnue. » De là les fondements de la religion, dont les racines dans la nature humaine se confondent d’une part avec ce besoin d’idéaliser la fin que nous poursuivons, d’autre part avec certaine nécessité de nous représenter sous des traits empruntés à ce monde visible une personne en laquelle toutes nos aspirations sont satisfaites. L’activité de l’imagination rend ainsi compte de la diversité des formes que la religion peut revêtir.

Or cette personnalité idéale n’est pas une pure fiction destinée à s’évanouir comme un rêve le jour. où s’éveillerait l’esprit humain. Les éléments émotionnels de notre nature, tels que la réflexion nous les révèle, ne sont point le fondement d’imaginations passagères ; ils sont au contraire les éléments les plus permanents et les plus sûrs. C’est sur eux que repose l’idée de la personnalité divine, et non point, comme on l’a cru trop longtemps, sur la recherche d’une prétendue cause première. La vraie religion est celle, selon que le Christ l’a enseigné, qui consiste dans l’amour parfait, dans l’amour