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bilité physique des criminels. Est-ce à ce défaut de sensibilité personnelle qu’il faut attribuer l’indifférence qu’ils ressentent pour les souffrances d’autrui ? La pitié est certainement éteinte chez eux ; et, quoi qu’on en ait dit, ils ne savent pas ce que c’est que le remords. Leur apathie est extrême ; le travail leur est odieux. La faculté de l’effort continu, de l’application patiente leur manque entièrement. Ils sont sans cesse excités au changement par l’instabilité de leur pensée, incapable de prévoir comme de se fixer. Aussi, malgré quelques exemples isolés de criminels de génie, leur intelligence est-elle faible ; leur astuce ne doit point nous faire croire à une véritable pénétration ; adonnés chacun à un genre de délit, auquel du reste ils sont dressés par leurs pareils, ils finissent par y exceller sans y apporter autre chose qu’une dextérité instinctive et routinière. Leur littérature est des plus pauvres, et dans les nombreuses chansons qu’on a pu recueillir l’idée est à la hauteur du sentiment[1]. Cette étroitesse de pensée se concilie bien avec un orgueil immense, une susceptibilité farouche et vindicative. Les geôliers savent que chacun des criminels a dans la journée sa mauvaise heure, pendant laquelle, quelles que soient les précautions prises, le plus prudent est de ne pas l’irriter. C’est méconnaître complètement de telles natures que de prétendre les corriger ; quand on instruit ces intelligences sourdes et limitées, on ne fait que les rendre plus puissantes pour le mal. Les récidives sont non pas l’exception, mais la règle. La démonstration par les faits est décisive sur ce point.

3° C’est qu’en effet la tendance à la criminalité est produite par des influences congénitales, confirmées il est vrai par les influences du milieu. Mais le criminel naît le plus souvent dans un milieu favorable au développement de ses funestes tendances, et l’éducation le pousse dans le même sens que l’hérédité. Il irait d’ailleurs de lui-même là où il peut trouver des idées morales semblables aux siennes, du renfort pour ses entreprises, et ces plaisirs crapuleux, ces orgies bruyantes qui sont le but ordinaire de sa vie. Il y aune affinité entre tous les hommes voués au crime ; ils s’attirent en quelque sorte et se retrouvent sans peine dans les prisons d’abord, puis dans certains

  1. Voici cependant un fragment de canzone qui semble peindre un sentiment vrai : « Au milieu de la place de la Vicaria (à Palerme) avec ses petites mains elle me fait des signaux ; — j’ai vu que c’était ma mère chérie, et que ses yeux étaient comme deux fontaines — Mère, qui seule pensez à moi, — je suis au milieu des mauvais chrétiens… — Nous sommes dans l’enfer, condamnés, — Et vous, mère chérie, dehors qui pleurez !… » Une très-grande quantité de citations de ce genre, des dessins de tatouages, des lithographies de crânes et de physionomies de criminels, des tableaux statistiques multipliés jettent sur l’ouvrage de M. Lombroso une grande variété et un vif attrait.