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tannery. — la théorie de la connaissance


II

Le point de départ de Descartes, le Cogito, ergo sum est vicieux :

1o En ce qu’il ne met en lumière qu’un côté de ce qui existe, les pensées, non les sensations, — critique inexacte, s’il s’agit de la pure doctrine cartésienne ;

2o En ce que la pensée y apparaît, non comme la pure activité d’une conscience, mais comme la propriété d’une substance, d’un moi, qui va servir d’élément à toutes sortes de rêves et de spéculations.

Notre auteur retourne de diverses façons la proposition qu’il prétend substituer à la célèbre formule : « Des faits sont perçus ; » — par conséquent, « quelque chose existe, » — ce qui implique : la sensation pour la perception de ce qui existe ; la pensée pour l’affirmation de l’existence ; la pluralité et le changement dans la sensation et dans la pensée, qui ne sont autres que des devenirs, car une seule sensation toujours identique ne pourrait être suivie d’aucune pensée, etc. ; — donc finalement : « Il existe un monde, et cela comme une pluralité en changement. »

Cette proposition est d’ailleurs une définition de l’existence ; en d’autres termes, il n’y a pas pour nous d’existence réelle, en dehors des sensations et des pensées. Si, dans le jugement, qui est une forme de la pensée, nous sommes obligés de poser un sujet et un objet, cette distinction, et par suite notre personnalité, ne correspondent qu’à une nécessité grammaticale. Une intelligence différant de la nôtre ne peut davantage être logiquement admise.

S’il faut montrer avec quelle raideur systématique ces positions sont maintenues, en voici un exemple topique :

« Le monde, en tant que devenir, pluralité en changement, dont l’existence est une fois constatée, ne peut, dans cette détermination abstraite, ni avoir commencé, ni finir. C’est une illusion de croire qu’on puisse se représenter un monde où toute conscience soit disparue ; il faut précisément notre conscience pour se le représenter. »

C’est peut-être, après tout, la forme qui, dans cette opinion, est le plus paradoxale ; comme hypothèse, elle en vaut certes bien d’autres sur les questions de l’origine et de la destinée du monde. M. Schmitz-Dumont la défend d’ailleurs par des arguments a posteriori sur lesquels nous pourrons revenir ; mais qui ne serait choqué de la prétention de l’établir ainsi a priori ?

Reprenons notre exposition.